Petite bulle d’histoire : Des sorcières voleuses de pénis

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Portrait par Camille Limoge
Crédit: Camille Limoge

Le Malleus Maleficarum, également connu sous le nom de « Marteau des sorcières », est un document historique notoire qui a laissé une marque indélébile dans l’histoire des chasses aux sorcières. Composé à la fin du XVe siècle par deux frères dominicains, Heinrich Kramer, dit Henry Institoris, et Jacob Sprenger, ce document est un guide complet pour identifier, poursuivre et punir les sorcières. Il s’agit d’un traité sérieux et inquiétant qui a façonné les croyances et les actions entourant les procès pour sorcellerie. Cela dit, dissimulée entre les pages de ce sinistre manuel se cache une histoire des plus farfelues ; la croyance en l’existence de « nids de pénis », volés, conservés et nourris comme des petits oiseaux par des adeptes du diable…

Des nids de pénis domestiques

En plein discours sur les crimes sexuels perpétrés par les sorcières et l’association quasi-systématique entre les femmes et la sorcellerie, le malleus maleficarum prend une tournure plutôt bizarre en élaborant trois récits de vols de pénis. En effet, les auteurs nous rapportent des témoignages d’hommes prétendant que des sorcières auraient volé des organes génitaux masculins et les maintiendraient en vie dans des nids d’oiseaux en les nourrissants d’avoine.

Un homme rapporte en effet qu’il avait perdu son membre et pour le récupérer, il avait appelé une sorcière. Elle ordonna à l’infirme de grimper sur un arbre et lui accorda, s’il le voulait, d’en prendre un dans un nid où il y en avait plusieurs. Lui ayant essayé d’en prendre un grand, la sorcière dit : ne prends pas celui-là ; (ajoutant) il appartient à l’un des curés.

Malleus Maleficarum, première question principale, chapitre 7 [1]

Dans un autre récit, un père vénérable du couvent de Spire affirme avoir été témoin d’un de ces vols fantasmagoriques. Durant une confession, un jeune homme se lamenta d’avoir perdu son membre viril et lorsque le père refusa de le croire sur parole, il écarta ses vêtements pour le lui prouver. Puisque la victime suspectait une femme d’être responsable de son sort, le père lui conseilla d’aller l’amadouer pour la convaincre de le guérir. Il le fit et revint guéri et complet quelques jours plus tard.  

Ces récits démontrent autant la volonté des sorcières de ridiculiser l’Église et la misogynie absolue du Malleus Maleficarum qui associe systématiquement la sorcellerie à la gent féminine.

Réception du récit

Le caractère surréaliste de ce passage à attirer l’attention et le mépris de nombreux auteurs et savants.[2] Dès 1584, Reginald Scot répétait l’histoire dans son traité The Discoverie of Witchcraft pour illustrer le ridicule du fanatisme de Kramer.

Depuis, plusieurs critiques, ont utilisé cet extrait pour démontrer la misogynie et la perversion des auteurs du Malleus Maleficarum. L’historien Sydney Anglo, qui fut sans doute le premier historien moderne à étudier sérieusement le « manuel des inquisiteurs », affirme que ce passage est un exemple de la « pornographie scholastique » de Kramer. Un autre exemple, l’historienne féministe Helen Ellerbe,[3] l’utilise pour plaider la misogynie virulente de l’époque, autant dans le domaine de la sorcellerie que dans tous les aspects du christianisme, intrinsèquement patriarcal.

Finalement, Richard Kieckefer, croit que ce type de récit n’existe que dans le Malleus Maleficarum et conclut que cette histoire devrait être perçue comme un indice de la folie de ses auteurs. [4]

Des arbres de phallus

Entre le XIIIe et le XVIe siècle, de nombreuses représentations d’arbres ayant pour fruit des phallus font leurs apparitions en Europe. Bien que la signification exacte de ces représentations soit sujet à débat, l’arbre est, dans l’iconographie chrétienne, associé à plusieurs éléments tels la fertilité, la tentation ou la puissance. Pour ce qui est du phallus… Je ne crois pas avoir besoin de vous expliquer le lien entre l’appareil reproducteur masculin et la fertilité.

Religieuses cueillant des pénis dans des arbres dans un manuscrit du Roman de la rose, XIVe siècle. BnF MS Fr. 25526.

Évidemment, il ne faut pas négliger la mode des drôleries médiévales et trop penser à la symbolique de chaque illustration marginale. Je ne suis pas de l’école à tout sur-analyser, mais nous sommes ici dans le domaine de l’imaginaire. Qui n’a jamais fait de cauchemars inspirés par une seule image ou une simple scène dans un film?

Cela dit, certains auteurs ont avancé l’hypothèse que ces arbres de phallus ne représentaient pas la fertilité mais, au contraire, la stérilité et l’impuissance masculine. Dans cette même idée, puisqu’il n’est pas rare que le fruit de ses arbres soit récolté par des religieuses, donc des femmes, ces illustrations furent parfois associées à la sorcellerie.[5]

Impotence et sorcellerie

Dans les croyances populaires, les sorcières sont fréquemment associées à l’infertilité et l’impotence, notamment en « nouant l’aiguillette » pour empêcher la consommation du mariage. L’idée qu’une sorcière vole le pénis d’un homme et le conserve comme animal de compagnie ne semble être qu’une carricature drastique de cette peur déjà bien établie. Dans sa perversion, elle s’approprie la sexualité de l’homme, l’humilie et le prive de toute descendance.

Si l’on revient à nos arbres de phallus, il est possible qu’ils aient marqué l’imaginaire des auteurs du malleus maleficarum et de leurs contemporains qui, terrifiés à l’idée de perdre leur membre viril, ont inventé ces histoires de vols de pénis et de leur domestication dans des nids d’oiseaux.

Fantasme ou réalité?

Naturellement, il n’est pas question ici de débattre de la possibilité réelle de ces récits de vols et de nids de pénis, mais qu’en pensent réellement les auteurs du traité?  

Enfin que faut-il penser de ces sorcières qui par ce moyen collectionnent parfois des membres virils en grand nombre (vingt ou trente) et s’en vont les déposer dans des nids d’oiseaux ou les enferment dans des boîtes, où ils continuent à remuer comme des membres vivants, mangeant de l’avoine ou autre chose comme d’aucuns les ont vus et comme l’opinion le rapporte? Il faut dire que tout cela relève de l’action et de l’illusion diabolique : les sens des témoins ont été trompés de la manière déjà dite.

Malleus Maleficarum, première question principale, chapitre 7 [6]

S’associant aux théories de Thomas d’Aquin dans sa Somme théologique, Kramer et Sprenger refusent d’accorder un véritable pouvoir physique aux sorcières qui, à l’image du diable, ne peuvent qu’abuser des sens des bons chrétiens. Pour eux, l’artifice magique n’est qu’une illusion du diable, qui n’a pas sa cause dans un changement matériel mais seulement dans la perception de celui qui est trompé.

Dommage que les bûchers conséquents à ces illusions ne fussent pas aussi imaginaires…


[1] Henry Institoris, Jacques Sprenger, Le Marteau des Sorcières, Édition Jérôme Million, Grenoble, 2005, p. 288.


[2] Moira Smith, « The Flying Phallus and the Laughing Inquisitor : Penis Theft in the Malleus Maleficarum », Journal of Folklore Research, V. 39, n1 , 2005, p. 87-91.


[3] Helen Ellerbe, «The Witch Hunts : The End of Magic and Miracles », The Dark Side of Christian History, ch. 8, Morningstar Book, San Rafael, 1995, p. 114-139.


[4] Richard Kieckhefer, European Witch Trials: Their Foundation in Popular and Learned Culture, 1300-1500. Berkeley and Los Angeles: University of California Press, p. 60-62.


[5] Johan J. Mattelaer, « The Phallus Tree: A Medieval and Renaissance Phenomenon », Sexual medicine history, p. 846-851. Consulté en ligne : https://krapooarboricole.files.wordpress.com/2019/10/mattelaer-2010-the_journal_of_sexual_medicine.pdf


[6]  Henry Institoris, Jacques Sprenger, Le Marteau des Sorcières, Édition Jérôme Million, Grenoble, 2005, p. 288.

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