Petite bulle d’histoire: L’affaire des poisons

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Portrait par Camille Limoge
Crédit: Camille Limoge

Le 17 juillet 1676, la marquise de Brinvillier a la tête tranchée pour avoir empoisonné son père et ses deux frères. Intéressé par l’affaire, le lieutenant-général de police de La Reynie se plonge dans le dossier, qu’il croit lié aux arts diaboliques. La machine judiciaire se met en marche : tortures, aveux, dénonciations, exécutions… Cette histoire prend rapidement des proportions démesurées. Avec 442 accusés, l’entourage de Louis XIV ne peut être épargné. Rapidement, c’est Mme de Montespan, mère des enfants du monarque, qui est pointée du doigt. Durant trois ans, l’affaire des poisons embrase Paris et la cour est enfermée dans un climat d’hystérie de « chasse aux empoisonneurs ». 

Aux prémices de l’affaire

Lorsque l’officier de cavalerie Godin de Sainte-Croix, passionné d’alchimie, meurt en 1672, on découvre en sa possession un mystérieux coffret. Cette cassette renferme neuf lettres de sa maîtresse, la marquise de Brinvillier, et diverses fioles contenant des traces de poison. Dans ses lettres, la marquise avoue avoir empoisonné plusieurs membres de sa famille avec un mélange d’arsenic et de bave de crapaud.

Portrait de la marquise de Brinvillier le jour de son exécution par Charles Le Brun en 1676.
Portrait de la marquise de Brinvillier le jour de son exécution par Charles Le Brun en 1676. Crédit Wiki commons.

Inquiétée, cette dernière prend la fuite. Son valet La Chaussée est accusé de complicité et de tentative d’empoisonnement contre le roi, puis condamné à mort. Rapidement, les accusations contre la marquise s’amplifient. Elle est, dès lors, accusée d’avoir voulu empoisonner le puissant ministre Jean-Baptiste Colbert et le roi, en plus d’être responsable de la mort d’Henriette d’Angleterre, la belle-sœur de Louis XIV. La première affaire des poisons vient d’éclater et éclabousse la cour.

Lorsque la marquise est retrouvée en 1676, elle est soumise à un interrogatoire, puis décapitée après un long procès.

La peur du poison

Mentionnons qu’à l’époque, la crainte des poisons n’est absolument pas dérisoire. Il existe notamment un marché pour se procurer de la « poudre de succession », utilisée pour accélérer la mort d’un proche et s’emparer de son héritage. De même, certaines cours d’Europe sont pourvues de maîtres empoisonneurs officiellement reconnus. Les Italiens sont particulièrement réputés et craints pour leurs connaissances et leur utilisation des poisons.

Par conséquent, lorsque le chimiste et célèbre empoisonneur italien, Exili, visite la France en 1663, il est instantanément saisi et emprisonné à la Bastille. La légende raconte qu’il y aurait rencontré Godin de Sainte-Croix, l’amant de la marquise de Brinvillier. Devenu familier, il lui aurait transmis certains savoirs secrets[1], notamment la recette de l’aqua tofana. Ce poison est parfois suspecté d’être en cause dans les possibles empoisonnements à la cour de France, dont ceux de la marquise de Brinvillier.

Quelques années plus tard…

En 1679, Marie Bosse, réputée devineresse, entraine l’affaire sur le terrain des messes noires. Durant une soirée particulièrement arrosée, cette dernière se vante maladroitement de ses talents d’empoisonneuse. Une enquête est ouverte et révèle que Marie aurait fourni des poisons à certaines épouses de parlementaires, désireuses de faire disparaître leur mari.

Lors de son arrestation, la devineresse dénonce une autre empoisonneuse : Catherine Deshayes, dite la Voisin. Cette dernière est célèbre dans Paris pour pratiquer des avortements. Rapidement, elle est accusée d’avoir participé à des messes noires, de pratiquer la sorcellerie et d’être à la tête d’un réseau d’empoisonneurs.

Durant ses interrogatoires, la Voisin dénonce plusieurs personnes de qualité, dont Madame de Montespan, mère des enfants du roi[2]. Plusieurs personnalités impliquées dans l’affaire étant proches de Louis XIV, un tribunal spécial est créé : La Chambre ardente. 


La Chambre ardente

Chargé de l’enquête, le premier lieutenant général de police de Paris, Gabriel-Nicolas de La Reynie[3], peine à trouver des preuves concrètes d’empoisonnements. Pourtant, les témoignages, souvent obtenus sous la torture, ne manquent pas. Aux accusations d’empoisonnements s’ajoutent rapidement des allégations de messes noires, de meurtres rituels d’enfants, de profanations d’hosties et, bien sûr, de sorcellerie.

Portrait d'une inconnue en Iris, probablement la marquise de Montespan, par Louis Ferdinand Elle l'Ainé vers 1660. Crédit Wiki Common.
Portrait d’une inconnue en Iris, probablement la marquise de Montespan, par Louis Ferdinand Elle l’Ainé vers 1660. Crédit Wiki Commons.

Désireux d’arrêter tous les empoisonneurs, faiseurs d’anges, sorciers, alchimistes, etc. La Reynie n’hésite pas à interroger des centaines de personnes. En trois ans, la Chambre ardente auditionne 442 accusés et ordonne 367 arrestations, dont 218 sont maintenues. De ces dernières découlent 36 condamnations à mort, 34 bannissements ou amendes, quatre condamnations aux galères et 30 acquittements.[4] Madame de Montespan est fréquemment mentionnée ou accusée lors des interrogatoires.

La Chambre ardente est dissoute en 1682, sans qu’aucun accusateur de Madame de Montespan ne soit jugé, pour raison d’État. Ceux-ci ne sont pas tués, mais simplement enfermés, avec leurs secrets, jusqu’à la fin de leur vie. Les procès-verbaux impliquant Madame de Montespan et d’autres personnalités importantes sont, par ordre du roi, isolés sous le vocable des « faits particuliers » et disparaissent durant quelques décennies.


La honte du Roi-Soleil

Le 13 juillet 1709, deux ans après la mort de Madame de Montespan et un mois après celle de La Reynie, Louis XIV se fait apporter une grande cassette de cuir noir clouté. Surveillée depuis des décennies par un greffier, cette cassette contient les « faits particuliers » des procès de 1679-1682.

Conservés près de trente ans à l’abri des regards, ces procès-verbaux et rapports de police sont jetés à la cheminée sous l’œil attentif du monarque. Le Roi-Soleil souhaite ainsi faire disparaitre le scandale et protéger la mémoire de son règne, qu’il voulait éclatant.


[1] Petitfils, L’affaire des Poisons, p. 162-173.

[2] Jean-Christian Petitfils, L’affaire des poisons : crimes et sorcellerie au temps du Roi-Soleil, Paris, Perrin, 2013, p. 69-70.

[3] Claude Quétel, Une ombre sur le Roi-Soleil : l’affaire des Poissons, Paris, Larousse, 2007, p. 62.

[4] Petitfils, L’affaire des Poisons, p. 231.

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