Petite bulle d’histoire : Le Malleus Maleficarum, mode d’emploi d’un féminicide  

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Portrait par Camille Limoge
Crédits: Camille Limoges

Pour le mois d’octobre, j’ai eu envie d’aborder des sujets un peu plus halloweenesque et de faire un retour sur l’un des plus célèbre traité contre la sorcellerie : Le Malleus Maleficarum, littéralement le « marteau des sorcières ». S’étendant du XIVème aux XVIIIème siècles, les procès pour sorcellerie provoquèrent la torture et, souvent, l’exécution de milliers d’innocents. Bien que le Malleus Maleficarum ne soit pas le premier texte condamnant la sorcellerie, il est généralement perçu comme étant responsable de la radicalisation des persécutions et de la féminisation du phénomène.

Les origines du Malleus Maleficarum 

Page titre d’un Malleus Maleficarum datant de 1520 conservé dans les archives de l’University of Sydney library. Crédit: WikiComon

Publié en 1487, le Malleus Maleficarum se diffuse, à une époque où l’Europe était en proie à une peur croissante des sorcières. La superstition et la ferveur religieuse largement répandues, combinées à l’instabilité sociale et politique, ont créé un terrain fertile pour la chasse aux sorcières. Heinrich Kramer et Jacob Sprenger, deux inquisiteurs dominicains, ont écrit ce texte tristement célèbre en réponse à ce qu’ils considéraient comme un besoin urgent de conseils sur l’identification, la poursuite et l’éradication des sorcières. Rédigé comme un véritable manuel à l’usage des chasseurs de sorcières, le Malleus Maleficarum condamne les femmes, considérées par les auteurs comme étant plus sujettes à l’influence du diable. Dès sa parution, il devient l’un des livres les plus imprimés d’Europe et, de part le portrait précis qu’il offre d’une « sorcière typique », contribue à la paranoïa des européens ainsi qu’à l’augmentation des dénonciations, principal moyen de découverte des sorcières.

Contenu du Malleus Maleficarum 

Le Malleus Maleficarum comprend trois sections distinctes :  

La nature des sorcières : La première section traite de l’existence des sorcières, de leur malveillance et de leur association supposée avec le diable. Il soutient que les femmes sont plus sensibles à la sorcellerie en raison de leurs faiblesses perçues, de leur nature lubrique et de leur susceptibilité aux tentations du diable. Il s’agit d’une section particulièrement misogyne et caricaturale qui condamne la gent féminine, bibliquement responsable des malheurs de toute l’humanité.  

Les méthodes de poursuite des sorcières : La deuxième section fournit un guide systématique sur la manière d’identifier, d’interroger et de chasser les sorcières. Il décrit un cadre pour les procédures judiciaires contre les individus accusés de sorcellerie et encourage le recours à la torture pour extorquer des aveux.  

Les méthodes de torture et d’exécution : La troisième section détaille les méthodes aussi bien que les instruments de torture et d’exécution des sorcières. Il servait de manuel pratique aux inquisiteurs et aux chasseurs de sorcières, les guidant dans le processus horrible d’extraction d’aveux et d’exécution des condamnations. Les inquisiteurs étant généralement des hommes d’Église, la majorité des méthodes de torture proposée sont conçues pour qu’aucune goutte de sang ne quitte le corps de l’accusé. Malheureusement pour les victimes, la règle empêchant les religieux de verser le sang ne les empêche aucunement de presser des membres, disloquer des articulations, brûler la chair, etc.

La féminisation de la sorcellerie

Les quatre sorcières, albrecht Dürer, 1497. Crédit: WikiComon

L’un des aspects les plus inquiétants du Malleus Maleficarum est son rôle dans le processus de féminisation de la sorcellerie[1] avec la création graduelle d’un stéréotype distinct entre le sorcier et la sorcière. Ainsi, un traitement différentiel[2] des femmes et des hommes tend à s’opérer dans les interrogatoires, provoquant des aveux aux champs de concentration distincts. Pour cette raison, le sorcier est plus sujet à avouer des crimes comme des meurtres, des infanticides, des profanations de cadavres et de l’anthropophagie, alors que dans les procès de sorcières, l’emphase est davantage mise sur les aveux relatifs à la sexualité (orgie sexuelle) et à la bestialité. Cette différenciation est en cause dans l’image aujourd’hui véhiculée d’une persécution systématique des femmes dans les affaires de sorcellerie.

Héritage et souvenir 

Aujourd’hui, le Malleus Maleficarum reste dans les mémoires comme un chapitre sombre de l’histoire de la chasse aux sorcières et de l’intolérance religieuse. Il sert de mise en garde contre les dangers de la superstition, de la misogynie et de l’utilisation abusive de la religion pour justifier des persécutions. C’est un vestige des innombrables vies détruites à une époque où la peur et la paranoïa conduisaient à la torture et à l’exécution systématiques des supposées sorcières. 

Ainsi, ce texte se présente comme une relique effrayante et parfois absurde des grandes chasses aux sorcières. Dans ma prochaine chronique, nous explorerons comment la peur peut faire croire en des choses impossibles, comme la théorie présentée par Kramer et Spencer dans le Malleus Maleficarum comme quoi les sorcières pouvaient voler les pénis de leurs ennemis et les élever dans des nids, comme des petits oiseaux.


[1] Voir Michael David, Bailey, « The Feminization of Magic and the Emerging Idea of the Female Witch in the Late Middle Ages », Medieval Studies, Volume 19, (2002) pp. 120-134.

[2] Voir Eva Maier, Trente ans avec le diable, p. 157 – 158. Martine Ostorero, « folâtrer avec les démons », p. 92.

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