Petite bulle d’histoire : L’église St-James; Entre histoire et légende

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Portrait par Camille Limoge
Crédit: Camille Limoge

Le site patrimonial des Récollets-de-Trois-Rivières, situé en plein cœur de notre arrondissement historique, a un passé particulièrement mouvementé. Construit au milieu du XVIIIe siècle, l’ensemble se compose d’un presbytère et d’une église, aujourd’hui désacralisée. Témoin de l’histoire religieuse de la région et de ses nombreuses adaptations, le site eut fonction de couvent pour les Récollets, de palais de justice, d’hôpital, de prison, d’église anglicane et, plus récemment, de centre d’art. Une légende locale raconte même qu’une malédiction aurait été jetée sur le mur nord-est du presbytère, aujourd’hui surnommé « Le mur du pendu » …

L’église des Récollets

L’ensemble conventuel des Récollets, mieux connu sous le vocable d’église Saint-James, évoque tout d’abord l’histoire des communautés religieuses en Nouvelle-France. Arrivés à Trois-Rivières en 1670, les Récollets sont mis en charge des fonctions curiales de la paroisse trifluvienne où ils érigent, dès 1692, un couvent de bois sur l’actuelle rue des Ursulines. Entre 1700 et 1703, ils y adjoignent une chapelle, également en bois. Lorsque ces premiers bâtiments menacent de s’effondrer, ils sont remplacés par les édifices de pierres actuels, construits en 1742 pour le presbytère et en 1754 pour l’église.

Site patrimonial des Récollets-de-Trois-Rivières
Crédit: Répertoire du patrimoine culturel du Québec

Après la conquête britannique, le nouveau gouvernement interdit aux Récollets de recruter de nouveaux membres, ce qui les force à quitter Trois-Rivières en 1776. Les Britanniques prennent alors possession des édifices, qu’ils utilisent d’abord comme hôpital, puis comme cours de justice et prison à partir de 1790.

La période judiciaire

Entre 1789 et 1822, l’église Saint-James et son presbytère servent de prison et de tribunal. Cependant, confrontée à la croissance de Trois-Rivières, de sa démographie et des problèmes civils, cette prison improvisée ne suffit plus aux besoins de la ville.

En effet, les détenus étant devenus trop nombreux pour les lieux, ils n’ont aucun mal à s’en échapper. Ainsi, en 1811, une loi autorisant la construction d’une prison, puis d’un palais de justice est adoptée. Les deux édifices sont inaugurés en 1822.[1]

Après avoir perdu ses fonctions carcérales et judiciaires, l’ensemble conventuel est confié à l’église d’Angleterre qui consacre l’église sous le vocable Saint-James.

Le mur du pendu

Avez-vous déjà observé de près le mur nord-est, particulièrement fissuré, du presbytère de l’Église Saint-James? La légende raconte que cette usure disproportionnée par rapport au reste des bâtiments serait due à une malédiction professée il y a quelques 230 ans.

Ainsi, vers 1790, un autochtone du nom de Noël Plaçoa, fut accusé du meurtre du trappeur Antoine Dubuc. En moins de 24h, l’accusé est condamné à être pendu. À cette époque, le presbytère faisait office de palais de justice et de prison. Un échafaud aurait donc été construit, adossé au mur du presbytère, pour servir à l’exécution du condamné.

Clamant son innocence jusqu’à ce que son cou soit rompu, Noël Plaçoa se serait exclamé [2]  :

 « Grand Esprit, tu sais que ne suis pas coupable. Pour le prouver, le mur de pierre de cet édifice ne tiendra jamais ! »

Fait étrange, on raconte que le mur en question s’effondra dès la nuit suivante et que de nombreuses réparations ne suffirent jamais à le maintenir en parfait état. On raconte aussi que depuis cette époque, il est possible d’entendre, à l’aurore, la complainte de cet homme condamné injustement.

Pour donner appui à l’innocence de notre pendu, il est dit que, une vingtaine d’années plus tard, un nommé Sougraine, également autochtone, aurait avoué le meurtre sur son lit de mort. Ainsi fut prouvée l’innocence de Plaçoa, dont l’esprit semble à jamais enfermé dans le mur adjacent à son trépas.

L’histoire derrière la légende

Malheureusement pour les amateurs de fantôme, l’histoire de Noël Plaçoa et de sa malédiction semble peu crédible. En effet, selon les dossiers criminels conservés dans les archives de la BANQ de Trois-Rivières, Antoine Dubuc aurait été assassiné quelque 35 ans après la date reprise dans la légende. De plus, en 1825, un autochtone nommé François Noël aurait été pendu pour le meurtre du trappeur Antoine Dubuc.

Outre la différence des dates, les ressemblances entre l’histoire de Noël Plaçoa et de François Noël portent à croire qu’il s’agirait de la même personne. En effet, tout comme dans la légende de Plaçoa, Noël fut condamné à être pendu pour le meurtre de Dubuc, crime pour lequel il proclama son innocence jusqu’au dernier moment et, tout comme dans la première version, il fut finalement exonéré, près de 20 ans plus tard, à la suite des aveux d’un certain Sougraine.

Dommage pour notre légende, car si notre innocent fut pendu en 1825 et non en 1790, son histoire se déroule après l’ouverture de la nouvelle prison. Il serait étrange que notre innocent eût été pendu adossé à une église consacrée, à deux pas de la prison et de son mur d’exécution.

Un bien patrimonial à protéger

Travaux de restauration de l'enveloppe extérieure. 
Crédit : Ville de Trois-Rivières, 2016
Travaux de restauration de l’enveloppe extérieure.
Crédit : Ville de Trois-Rivières, 2016

Achetés en 2011 par la ville de Trois-Rivières pour la somme symbolique de 1$, l’église Saint-James et son presbytère sont classés comme un « bien patrimonial incontournable » par le gouvernement du Québec. Conséquemment, lors de son acquisition par la ville, cette dernière dut s’engager à restaurer et à protéger des sections assujetties à la Loi sur le patrimoine culturel.[3]

Dès lors, entre 2014 et 2015, des fouilles archéologiques se sont déroulées sur le site des Récollets-de-Trois-Rivières en prévision des travaux de restauration des bâtiments. Ces fouilles permirent de mieux comprendre l’histoire de cet ensemble architectural, notamment par la découverte d’une structure de pierre dont la fonction demeure un mystère. Daté d’avant 1742, ce vestige ne figure en effet sur aucun plan du complexe religieux. L’hypothèse la plus plausible suggère qu’il s’agisse des fondations d’une première chapelle entamée, puis abandonnée, par les Récollets.[4]

Parallèlement, la première phase du projet de restauration visant à freiner la détérioration de l’enveloppe extérieure des bâtiments fut complétée en 2016. En conséquence, le centre d’art des Récollets–St-James fut inauguré en septembre de la même année, rendant accessible au public ce bien culturel incontournable. La seconde phase de revitalisation, centré sur l’intérieur de l’ensemble religieux est en cours.


[1] Répertoire du patrimoine culturel du Québec, Palais de justice de Trois-Rivières, municipalité de Trois-Rivières, 2010. Disponible en ligne : https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=174365&type=bien

[2] https://www.tourismemauricie.com/article/les-legendes-de-la-mauricie-13-mythes-legendes-et-endroits-mysterieux-donner-la-chair-de-poule/

[3] Conseil du patrimoine religieux du Québec, Des églises réinventées : Centre d’art des Récollets – St-James, Québec, 2018, p. 2.
Disponible en ligne : https://www.patrimoine-religieux.qc.ca/fr/publications/eglises-reinventees

[4] Corporation de développement culturel de Trois-Rivières, Six pieds sous terre : Cahier d’archéologie, Trois-Rivières, 2016, p. 22.

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