Pour l’Halloween, j’ai eu envie d’aborder la création du mythe de la sorcellerie et de l’imaginaire du sabbat démoniaque. La croyance en une secte d’adorateurs du diable, rapidement condamnés comme hérétiques est responsable de la persécution, de la torture et de la mort de milliers d’innocents à travers les siècles.
La secte des sorcier(e)s
L’adhésion à la secte se fait d’abord par la séduction. Le diable promet au futur sorcier(e) quatre ou cinq sous puis, réclame que ce dernier renie Dieu, la Vierge et la Trinité. Le nouveau sorcier(e) doit ensuite rendre hommage au diable, sous forme animale, par un baiser sur l’anus. Le diable répond en marquant son fidèle, souvent par une morsure. Ce marquage, à la fois matériel et spirituel, symbolise la soumission du sorcier(e). Il quitte ainsi sa communauté de chrétiens au profit de la secte du diable.
Par la suite, le diable remet au sorcier(e) une petite boîte contenant un bâton et un onguent maléfique et lui prescrit de se rendre aux sabbats.
Un lieu étrange
La réunion secrète des sorcier(e)s, le sabbat, se déroule durant la nuit dans un lieu réel, isolé et difficile d’accès. Ainsi, les sorcier(e)s chevauchent des montures démoniaques pour se rendre dans un lieu illuminé par des chandelles. Parfois fabriquées à base de boyaux ou de graisse d’enfants, celles-ci dégagent une lumière étrange de couleur bleue ou verte. D’autres éléments surnaturels, tel un feu éternel, un feu qui ne brûle pas, un arbre dont s’écoule une fontaine de vin, etc. sont souvent mentionnés dans les aveux.
Le déroulement du sabbat
Le déroulement précis du sabbat varie d’un procès à l’autre, mais certains éléments sont toujours présents. Ainsi, le banquet est toujours très abondant et se compose notamment d’enfants cuisinés selon des recettes locales. Après le festin, la cérémonie se poursuit par toutes sortes d’actes anti-sociaux ou anti-religieux. On baptise les nouveaux sorcier(e)s, on renouvelle l’hommage au diable par le baiser sur l’anus profane des hosties et de l’eau bénite volés à l’Église chrétienne, on piétine la croix, on commet l’apostasie, etc. Ces actes symbolisent l’inversion de l’ordre normal des choses et parodient la « bonne société chrétienne ».
À la suite de la « cérémonie officielle » du sabbat, le diable proclame le début de l’orgie sexuelle. Cette étape est particulièrement détaillée dans les procès de femmes. Ainsi, bien que tous les membres de la secte participent à l’orgie, plusieurs femmes avouent avoir connu le démon charnellement. Cet acte est décrit comme particulièrement désagréable. Le membre et la semence du démon sont décrits comme très froids et plusieurs femmes en sont tombées gravement malades.
Après le sabbat, les sorcier(e)s réintègrent leur communauté. Déguisés sous les traits de « bons citoyens », ils ont mandat de faire le plus de mal possible.
L’origine du mythe de la sorcellerie
La croyance en la sorcellerie existe de tout temps et dans toutes les sociétés. Dès lors, ce qui nous intéresse ici n’est pas l’origine des croyances, mais celle de leur persécution par l’Église chrétienne occidentale ainsi que l’élaboration du mythe du sabbat.
Cela dit, la première mention d’une volonté de persécution de « l’art pernicieux des sorts et de la magie » se trouve dans le Canon episcopi inclus dans le célèbre Décret de Gratien de 1140. Pour l’auteur, bien que condamnable, le vol dans les airs n’est qu’une illusion provoquée par Satan :
Le début du XIVe siècle s’ouvre sur une série de procès pour sorcellerie[1] qui prouvent une montée de l’obsession satanique. Ayant entendu parler de pratiques magiques à la cour d’Avignon, Jean XXII rédige la bulle Super illius specula (1326).[2] Dès lors, la sorcellerie est directement assimilée à une hérésie et les inquisiteurs sont habilités pour la poursuivre. En effet, en adorant le diable, les sorcier(e)s tournent le dos à la « vraie foi » et méritent le sort des hérétiques.
Rapidement, l’intervention de l’Inquisition contre la sorcellerie se précise dans les années 1330-1340. Le mot « sabbat » apparaît alors pour la première fois dans un contexte de sorcellerie. Habitués à combattre le dualisme cathare, les inquisiteurs du Languedoc, grâce aux aveux obtenus sous la torture, créent une première image de la « secte des sorciers » qui prend la forme d’une anti-Église nocturne qui adore Satan, renie le Christ, profane l’hostie et la paix des cimetières et se déchaîne en débauches abominables.[3]
[1] Voir notamment Richard Kieckhefer, European Witch Trials. Their Foundations in Popular and Learned Culture, 1300-1500, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1976, 188 p.
[2] Alain Boureau, Satan hérétique. Histoire de la démonologie (1280-1330), Paris, Odile Jacob, 2004.
[3] Jean Delumeau, La peur en occident, Paris, Fayard, 1978, p. 451-452.
Les textes fondateurs du sabbat
Dès la fin du XIVe siècle, les procès de sorcellerie et les traités qui la condamnent se multiplient.
Les cinq textes fondateurs du concept de sabbat des sorciers sont rédigés entre 1428 et 1442. Ainsi, Hans Fründ écrit son rapport sur des poursuites menées en Valais entre 1428 et 1430. Entre 1436 et 1438, Jean Nider complète son Formicarius basé sur les témoignages de l’inquisiteur d’Autun et du juge Pierre. Claude Tholosan écrit son traité vers 1436. Les Errores gazariorum, premier texte à mentionner que les sorcier(e)s se rendent au sabbat sur des bâtons ou des balais, apparait aux alentours de 1437-1438 et Le Champion des Dames de Martin Le Franc est composé entre 1440 et 1442.[1] Pour ces cinq auteurs, la réalité corporelle du sabbat et du vol dans les airs est indéniable.
Quarante ans plus tard, en 1486, Heinrich Kramer et Jacques Sprenger rédigent le célèbre Malleus Maleficarum qui condamne particulièrement le sexe féminin. Bien que le Canon episcopi mentionnait déjà « des femmes », la publication du Malleus Maleficarum provoque une féminisation systématique des persécutions et entraine la chasse aux sorcier(e)s dans un véritable féminicide.
[1] Martine Ostorero, Le diable au sabbat, p. 27-42.
[1] Extrait du Canon episcopi traduit dans Martine Ostorero, Le diable au sabbat. Littérature démonologique et sorcellerie (1440-1460), Lausanne, Firenze Sismel, 2011, p. 573.
[2] Voir notamment Richard Kieckhefer, European Witch Trials. Their Foundations in Popular and Learned Culture, 1300-1500, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1976, 188 p.
[3] Alain Boureau, Satan hérétique. Histoire de la démonologie (1280-1330), Paris, Odile Jacob, 2004.
[4] Jean Delumeau, La peur en occident, Paris, Fayard, 1978, p. 451-452.
[5] Martine Ostorero, Le diable au sabbat, p. 27-42.