Petite bulle d’histoire: L’empoisonneuse de Palerme

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Portrait par Camille Limoge
Crédit: Camille Limoge

Entre mythe et réalité, l’Aqua Tofana serait un poison à base d’arsenic utilisé en Italie aux XVIe et XVIIe siècles. La légende présente cette potion comme inodore, incolore et sans saveur, en plus de permettre à l’empoisonneuse de choisir avec une précision phénoménale l’heure de la mort de sa victime. Cette « manne de Saint-Nicolas » fut particulièrement utilisée par des femmes impatientes de se débarrasser d’un mari indésirable. Au total, ce sont plus de 600 hommes qui auraient été éliminés en consommant ce poison.

La société italienne du XVIIe siècle était particulièrement hostile aux femmes. Pour survivre, celles-ci n’avaient que trois options : la prostitution, la mendicité ou le mariage, souvent forcé par la famille. Une fois marié, l’époux disposait de tous les pouvoirs sur sa femme qui, aux yeux de la loi, n’était rien de plus que sa propriété. Comme tout bien matériel, la femme était soumise aux caprices de son mari et le divorce n’était en rien une option.

Evelyn de Morgan, The love Potin, 1903
Portrait faussement associé à Giulia. Evelyn de Morgan, The love Potion, 1903. Crédit Ati.

Dès lors, les seules solutions pour quitter leur prison maritale étaient la mort, souvent en couche, ou le veuvage. Incapable de se résigner à voir des milliers de femmes prisonnières de maris abusifs, Giulia Tofana mit au point une solution des plus inventives… Une « eau d’arsenic » vendu secrètement sous le couvert d’un produit de beauté.  

Pour ce faire, l’Italienne avait transformé son commerce de cosmétique en usine à poison. Elle y concoctait une solution mortelle vendue aux femmes piégées dans un mariage abusif. Ainsi, la légende raconte que Giulia fut à l’origine du meurtre de plus de 600 hommes entre 1633 et 1651.

Une empoisonneuse italienne

Très peu d’information est connue sur la vie de l’empoisonneuse. Née à Palerme, en Italie, vers 1620, Giulia Tofana était probablement la fille de Thofania d’Adamo. Apothicaire renommée, Thofania fut exécutée à Palerme le 12 juillet 1633 pour avoir assassiné, possiblement par poison, son mari. Il n’est pas certain si cette dernière à enseigné l’art du poison à Giulia ou si elle est l’inventrice de l’Aqua Tofana. Quoi qu’il en soit, l’histoire raconte que c’est elle qui lui donna son nom.

Quelques années plus tard, Giulia, devenue veuve, s’installe à la cour de Philippe IV d’Espagne, à Rome. Giulia y devient courtisane et commence à vendre des cosmétiques ainsi que sa fameuse solution contre les mariages mal assortis.

L’Aqua Tofana

Vendue sous la forme d’une poudre de maquillage ou d’une huile religieuse identifiée sous le vocable de « manne de Saint Nicolas de Barice », l’Aqua Tofana passait parfaitement inaperçue parmi les artifices de toilette de toute femme, de même que dans n’importe quelle boisson ou soupe.

Illustration d'une bouteille d'Aqua Tofana identifiée comme "Manne de Saint-Nicolas de Barice".
Illustration d’une bouteille d’Aqua Tofana identifiée comme « Manne de Saint-Nicolas de Barice ». Crédit : Wikimédia

Incolore, inodore, insipide et toxique, l’Aqua Tofana agissait lentement. La première dose provoquait des symptômes similaires à un rhume et une grande fatigue. La deuxième causait une dysenterie, des vomissements, de la déshydratation et parfois des épisodes de folie. Finalement, la troisième dose entrainait la victime dans la mort.

Le déclin progressif faisait croire à une maladie dont les symptômes se répandaient de plus en plus chez la gent masculine. De plus, la lenteur d’exécution permettait au mourant de mettre ses affaires en ordre et d’obtenir une mort favorable aux croyances chrétiennes, puisqu’elle permettait de penser au salut de l’âme et de recevoir les derniers sacrements.

Les ingrédients exacts de cette potion demeurent un mystère. Il pourrait s’agir d’un mélange d’arsenic, de plomb et de belladone. Ces trois ingrédients sont extrêmement toxiques, mais fréquemment présents dans les cabinets d’apothicaires et d’experts en cosmétiques.   

Le début de la fin

Dans sa biographie d’Alexandre VII, le cardinal Pietro Sforza Pallavicino raconte la découverte du réseau d’empoisonneuses responsable de la mort des époux italiens. Selon ce récit, prise de remords après avoir empoisonné la soupe de son mari, la comtesse de Ceri attire les soupçons en suppliant ce premier d’arrêter de manger. Inquiété devant cette réaction des plus inhabituels, il alerte les autorités pontificales et la comtesse est soumise à la question.

Sous la torture, cette dernière avoue avoir voulu empoisonner son époux et dénonce le commerce de Giulia Tofana. Alerté par son entourage, Giulia se réfugie dans une Église. Elle y vivra quelques mois avant que des rumeurs l’accusant d’avoir empoisonné l’eau bénite commencent à circuler. Devant ces accusations, les autorités brisent son droit d’asile et procèdent à son arrestation.    

Le procès

Le procès de Giulia Tofana et de ses associées se déroule à Rome, en 1659. Durant son écartèlement, l’empoisonneuse de Palerme avoue avoir vendu, entre 1633 et 1651, suffisamment de poison pour tuer quelques 600 hommes. Son but : aider les femmes malheureuses et opprimées.

Il semblerait qu’une quarantaine de femmes, accusées d’avoir participé de près ou de loin au commerce de l’Aqua Tofana ait perdu la vie en conséquence de ce procès. Plus de 200 femmes furent accusées de complicité.

Sa mort

Ce titre est définitivement trompeur puisque l’on ignore comment Giulia Tofana est décédée. Certaines sources affirment qu’elle fut exécutée lors du procès de 1659. D’autres qu’elle vécut dans un couvent de Naples jusqu’à sa découverte et sa strangulation en 1719. D’autres encore prétendent qu’elle faisait toujours le commerce de l’Aqua Tofana lors du décès d’Amadeus Mozart en 1791.

Il est plus que probable qu’elle ait parfois été confondue avec certaines de ses contemporaines, notamment avec Hieronyma Spara, et que la légende se chargea de la rendre immortelle.

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