Petite bulle d’histoire : Les Flagellants (1349)

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Portrait par Camille Limoge
Crédits: Camille Limoges

Parmi les pratiques chrétiennes peu discutées aujourd’hui, le meurtrissement volontaire de la chair fut longtemps utilisé comme moyen de contrition. Ainsi, de nombreux moines et croyants ont volontairement pratiqué la flagellation comme moyen de pénitence et de soumission envers leur Dieu. Ils croient ainsi honorer la mémoire de Jésus Christ et expier leurs fautes. Généralement de nature privée, cette pratique cède place à d’étranges processions publiques au cours du XIIIe siècle. Ce mouvement, dit des flagellants, s’étouffe rapidement, mais la violence de ces défilés marqua à jamais l’histoire et l’imaginaire populaire.

Une conséquence de la peste noire

Les années 1347-1351 ont vivement éprouvé l’Europe, alors en prise avec la pire épidémie de son histoire : la peste noire. Bien que le nombre de morts réellement attribuable à cette peste soit sujet à débat, il est généralement admis que le tiers des Européens périrent en moins de cinq ans. Évidemment, les conséquences sociales et économiques d’une telle catastrophe sont astronomiques et les Hommes, dépourvus de moyens pour contrer ce redoutable fléau cherchent désespérément une solution, pour ne pas dire un miracle.

Convaincus qu’il s’agit d’une punition divine et d’une prémice de la fin des temps, de nombreux religieux tentent d’apaiser la colère de leur Dieu en faisant pénitence pour le monde mortel. Ainsi, les frères de la croix commencent à organiser des processions de flagellants ambulantes qui sont rapidement rejointes par des centaines d’autres croyants.

En l’an de grâce de Notre seigneur 1349, allèrent les pénitents. Ce furent des gens qui faisaient des pénitences publiques et qui se battaient avec des courroies garnies d’aiguillons de fer au point qu’ils déchiraient leurs dos et leurs épaules. Ils chantaient des chansons très pitoyables sur la nativité et la souffrance de Notre Seigneur. (…) Ainsi fut cette habitude prise par de grandes humilités et, pour prier Notre Seigneur de réfréner sa colère, car, en ce temps, courait par tout le monde généralement une maladie qu’on appelait épidémie, dont bien la tierce partie du monde mourut.

Extrait de la Chronique de Jean Froissart, chapitre 71, publiée pour la première fois en 1369.

La procession de Bruges

Le 15 août 1349, deux cents flagellants venant de Bruges arrivent à Tournai. Plusieurs villageois, impressionnés par la procession, n’ayant jamais rien vu de semblable, se joignent au mouvement de pénitence. Une grande cérémonie de prière et de flagellation est alors organisée dans la ville.

Procession des flagellants de Bruge à Tournai en 1349.
Procession des flagellants de Bruge à Tournai en 1349. Crédits: WikiCommun.

Croyant que leurs pénitences ont le pouvoir de sauver l’humanité, les flagellants demandent à Dieu de pardonner les Hommes et d’éloigner la peste. Ironiquement, l’histoire nous apprend que les processions furent plutôt favorables à la diffusion de la peste, qui tend à suivre les processions. Dans le cas de Tournai, alors que la grande procession des frères de la croix eut lieu le 15 août, les premiers cas de peste n’y sont recensés qu’au début du mois de septembre 1349.

Censure et interdits

En France, le roi Philippe VI de Valois, sous les recommandations de l’Université de Paris, interdit l’autoflagellation sous peine de mort[1]. « Nonobstant ce, ils continuèrent leurs folies et multiplièrent en telle manière, que dans le Noël ensuivant qui fust l’an 1349, ils furent bien huit cent mille et plus (…), mais ils se tenoient en Flandres, en Hainaut et en Brebant »[2]. Certaines villes d’Allemagne, comme Erfurt, ferment leurs portes aux hordes de flagellants. D’autres villes telles Aix-la-Chapelle et Nuremberg, s’engagent à mettre à mort tout flagellant caché au sein de leurs murs[3].

À la suite de la censure française, l’Université de Paris, convaincue de la sottise et du danger du mouvement, charge le prédicateur Jean du Fayt d’informer le pape des pratiques dangereuses des flagellants. Pour convaincre Clément VI de se prononcer contre les confréries de pénitents, Jean du Fayt leur attribue les massacres de Juifs, qui avaient cours vers 1349, en plus de les accuser d’empoisonner l’eau des puits ou des fontaines pour provoquer les épidémies[4].

Le 20 octobre 1349, le pape rédige la bulle inter sollicitude qui condamne les flagellants pour hérésie[5]. Dès lors, le mouvement commence à s’estomper et les pénitents retournent, lentement, dans leurs villes d’origines.

Flagellants et culture populaire

Avez-vous déjà écouté le film le septième sceau (1957)? Ingmar Bergman y présente une vision sombre et douloureuse des processions des frères de la croix.

https://youtu.be/SnD3ZgfEg8s

Dans cet extrait, les flagellants sont présentés comme exténués et tordus sous les coups de fouet. La marche fut longue et éprouvante. Les symboles religieux accompagnant la procession de dévots sont lourds et la flagellation, loin d’être romanisée, est un véritable supplice de pénitence. Les processionnaires souffrent pour racheter les péchés de l’humanité, tout comme les véritables frères de la croix croyaient le faire il y a maintenant plus de 600 ans.

Plus récemment, l’album Per Aspera Ad Pestilentiam (2017)par le groupe de métal québecois Délétère s’est inspiré de cet évènement inusité. Pour les curieux c’est par ici :

https://deletere.bandcamp.com/track/i-incipit-noster-fructus-irae

 


[1] Richard, Kieckhefer, « Radical tendencies in the flagellant movement of the mid-fourteenth century», Journal of medieval and renaissance studies 4 (1974), p.147

[2] BIRABEN, J-N., Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens », tome 1, Paris, Mouton, 1975, P.69

[3] Richard, Kieckhefer, op. cit. p.146

[4] Anne, Autissier, « Le sang des flagellants », Médiévales, n.27. 1994, Du bon usage de la souffrance.

[5] Richard, Kieckhefer, op. cit. p.157

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