Petite bulle d’histoire : L’influence de l’eugénisme dans la naissance de la contraception moderne

L'eugénisme au service du féminisme

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Portrait par Camille Limoge
La chronique Petite bulle d’histoire s’attarde aux aspects curieux, insolites ou simplement intéressants de l’histoire. Crédits : Camille Limoges

Mon corps, c’est mon corps, ce n’est pas le tien. Tu as ton corps, alors laisse-moi le mien… Chanson thème des cours d’éducation sexuelle des années 1980 à 2000, cette comptine a marqué toute une génération de québécois(e)s. Bien que composée dans le but de sensibiliser les enfants aux abus sexuels, son bref refrain revient me hanter chaque fois que les questions de l’avortement et de l’accès à la contraception féminine refont surface dans les médias.

Devant le retrait progressif du droit à l’avortement aux États-Unis, j’ai voulu m’informer sur l’origine du contrôle des naissances moderne. Pour ce faire, j’ai rencontré Thomas Nadeau-Mercier, spécialiste de l’histoire de la pilule contraceptive entre 1961 et 1980. Ce dernier m’a éduqué sur l’influence de l’eugénisme dans l’avènement et la légalisation du contrôle des naissances.

Ceci n'est pas un cintre. Campagne pour le droit à la contraception et à l'avortement.
Crédit : http://www.cecinestpasuncintre.fr/

Un interdit dangereux

Au Québec, la contraception a été longtemps considérée comme un péché. Jusque dans les années 1960, l’Église catholique et le gouvernement civil condamnent toute volonté de contrôle des naissances.

Malgré cela, en 1966, ce sont trois Québécoises sur cinq qui pratiquent la régulation des naissances. Néanmoins, puisque la contraception est illégale, de 60 000 à 70 000 avortements criminels ont lieu chaque année au Canada. Cette situation engendre de nombreux risques médicaux. Désespérées devant une grossesse non-désirée, plusieurs femmes ont recours à des cliniques clandestines ou elles tentent de s’avorter en utilisant des cintres de métal ou des broches à tricoter.

Décriminalisation et début de la vente

À la fin des années 1960, le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau s’intéresse aux mœurs socio-sexuelles des Canadiens. Selon lui, le gouvernement ne devrait pas contrôler les pratiques sexuelles de ses citoyens. Ainsi, il s’intéresse à la décriminalisation de l’avortement, du divorce et de l’homosexualité.

« There’s No Place for the State in the Bedrooms of the Nation. »

Extrait d’un entrevue de Pierre Elliot Trudeau le 21 février 1967

En plus de décriminaliser ces pratiques, l’adoption du Bill omnibus le 14 mai 1969 retire du Code criminel la loi qui interdit la diffusion d’information sur les méthodes contraceptives et la vente de produits contraceptifs.

De nos jours, la majorité des femmes sexuellement actives utilisent des moyens de contraceptions (contraceptifs oraux, intra-utérin, condoms, etc.) Ainsi, entre 2014 et 2015, c’est 85,1% des Canadiennes âgées de 15 à 49 ans et sexuellement actives qui en ont utilisés.[1]

Une volonté eugéniste

En tant que femme vivante au 21ème siècle, je suis extrêmement reconnaissante d’avoir le contrôle sur mon utérus. Malheureusement, l’origine de ce droit n’est pas immaculée et les ambitions dissimulées derrière les premières études sur la contraception moderne ne semblent aucunement glorieuses.

Au milieu du XXème siècle, l’États-Unien Clarence James Gamble, héritier millionnaire de la société Procter & Gamble, finance des essais sur le contrôle des naissances. Pilier de la ligue de « l’Amélioration humaine de la Caroline du Nord », il soutient des programmes de stérilisation, avec ou sans consentement, sur les classes populaires dans l’optique d’améliorer le patrimoine génétique de son pays.

En 1960, le gouvernement s’inquiète de la prolifération des populations noires et hispaniques à l’intérieur des frontières des États-Unis. Poussés par des ambitions eugénistes, ils mettent en place des politiques publiques visant à diminuer la fertilité de ces individus. Tristement, ce racisme fait avancer la recherche sur la contraception bien plus vite que n’importe quelle volonté féministe.

Ainsi, des centaines de femmes, parfois non-consentantes, sont utilisées comme rats de laboratoire pour satisfaire les ambitions eugénistes de l’élite contemporaine.

Porto Rico : un laboratoire à ciel ouvert

Les minorités états-uniennes ne sont pas les seules victimes des ambitions eugénistes. Ainsi, en 1955, Porto Rico (nouvellement sous protectorat états-uniens) devient secrètement un laboratoire pour tester l’efficacité de la pilule contraceptive.

Dans les années 1950, les eugénistes perçoivent les femmes des pays défavorisés comme étant incapables de restreindre leurs grossesses. Profondément racistes, ces derniers souhaitent néanmoins les pousser à limiter leur reproduction. Convaincus de l’infériorité de ces femmes, ils décrètent « qu’il leur fallait des contraceptifs simples qui ne nécessitaient pas de faire appel à leur intelligence ou à leur sens des responsabilités ».

À cette époque, les médecins ne sont pas obligés d’informer leur patient de leur participation à une étude. Ainsi, des centaines de porto ricaines, sont aveuglements exploitées pour tester les effets de la pilule contraceptive.

La première pilule contraceptive états-unienne est mise sur le marché le 10 juin 1957 après seulement un an d’essais sur un échantillon très restreint. Cette dernière est prescrite en priorité aux minorités ethniques et aux classes populaires les plus pauvres.   

Les Sexual Sterelization Act

Et si vous pensiez que le Canada n’y avait pas participé, j’ai des mauvaises nouvelles pour vous.

En 1928, l’assemblée législative de l’Alberta, persuadée que tous les troubles mentaux étaient transmissibles de la mère à l’enfant, instaure le Sexual Sterelization Act. Cette loi autorise la stérilisation forcée de patientes internées dans des hôpitaux psychiatriques. Au fil du temps, plus de 2 800 femmes sont stérilisées sous cette loi.

À l’instar de l’Alberta, la Colombie Britannique crée une loi similaire, mais amoindrie, en 1933. Entre 200 et 400 personnes en subissent les conséquences.  

Un drame d’actualité

Bien que les Sexual Sterilization Act canadiens ne soient officiellement plus en vigueur depuis 1972-1973, le combat contre la stérilisation forcée n’est pas chose du passée. En effet, il semble que de nombreuses représentantes des premières nations, de même que plusieurs femmes vivant avec un handicap soient, aujourd’hui encore, victime de cette pratique. En décembre 2018, l’organisme Action Canada pour la santé et les droits sexuels a soumis un rapport[2] au Comité contre la torture de l’ONU pour condamner ces stérilisations forcées.

Depuis, l’ONU a officiellement déclaré que ces pratiques de stérilisation non-consentie constituent un acte de torture. Dès lors, le Canada a reçu mandat de mettre fin à ces actes barbares et une étude sur la stérilisation forcée au Canada a été annoncée en janvier 2019.   

[3] Thomas Nadeau-Mercier est candidat à la maîtrise en histoire à l’Université Laval. Son projet de mémoire « La pilule en débat au Québec : Médecins, catholiques, féministes et utilisatrices (1961-1980) » s’intéresse notamment à l’impact du statut familiale et de l’âge des femmes sur l’évolution de la prescription de la pilule contraceptive par les médecins québécois.


[2] Alternative Report on Canada’s seventh periodic report before the Committee Against Torture 65th Session, November 2018. Consultation en ligne : https://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CAT/Shared%20Documents/CAN/INT_CAT_CSS_CAN_32803_E.pdf


[3] Statistique de santé et de bien être selon le sexe – Tout le Québec. Consultation en ligne :

https://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/statistiques-donnees-sante-bien-etre/statistiques-de-sante-et-de-bien-etre-selon-le-sexe-volet-national/utilisation-de-contraceptifs-chez-les-femmes/#:~:text=Faits%20saillants,est%20de%2093%2C9%20%25.

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