3e prix au concours de poésie du Zone Campus (édition 2024)
Fragmentée
Je suis née femme porcelaine, éclat d’une mère bibelot, d’une bribe de femme craquelée.
Beaucoup disent que ma génitrice s’est fragmentée pour que je puisse exister et que je devrais lui en être reconnaissante. Je crois plutôt qu’on m’a condamné à ne pas être, car de quelle manière puis-je réellement vivre si je suis venue au monde incomplète ? Comment ne pas en vouloir à cette mère brisée, d’avoir volontairement transmis la malédiction de la fragilité et de la ruine à sa fille ? Je pense aussi que l’amour maternel se veut parfois foncièrement égoïste. Savais-tu, ma chère mère, qu’un enfant ne répare pas les pots brisés ?
Malgré la fatalité de mon existence, j’ai tenté de me rapiécer, sans jamais trouver les bons morceaux. Est-ce que c’est toi qui les caches, maman ? Pourquoi ? Pourquoi étant toi-même si ébréchée, as-tu décidé de damner une autre vie à un destin de fissures ?
J’aimerais tant savoir ce que c’est que d’être entière, ce que c’est que de ne pas toujours avoir l’impression de n’être qu’une partie d’un vase sans fleurs, mais chaque jour je me casse de plus en plus et le pot de colle touche à sa fin.
Je suis née femme porcelaine, fille d’une mère frêle, d’une femme fracturée.
Je suis née porcelaine et je mourrai porcelaine.