Poème d’Isabelle Cossette : « Lendemain de veille »

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2e prix au concours de poésie du Zone Campus (édition 2023)

Lendemain de veille

J’ouvre les yeux

Surprise d’être là

Encore là

Je cligne quelques fois

Mais maintenant, quoi ?

 

Tout est désespérément identique

Dans la maison sans mouvance

Le lavage à ranger, les jouets d’enfant à ramasser,

La vaisselle à laver, le travail à terminer

La liste de choses à faire ne s’est pas écourtée

Au contraire, elle s’allonge :

Regrouper mes idées, leur trouver une suite, panser mes plaies

Penser, panser, penser, panser

J’ai voulu m’écourter

Mais la liste, elle, elle ne veut rien savoir

J’essaie d’ignorer mes obligations,

Ai-je donc autre chose que ça, des obligations ?

Elles me tenaillent, me culpabilisent :

Comment oses-tu te reposer ?

Il y a des choses à ranger, à ramasser, à laver, à terminer, à faire

Mais je n’arrive pas à bouger, pas tout de suite

Ce ne sera ni mon premier,

Ni mon dernier repos

 

Et maintenant, quoi ?

Je soupire, immobile

J’ignore quoi faire

Je cherche à me mettre en marche,

Je cherche la marche à suivre

Mais c’est le vide

Je suis vidée

Je fixe le plafond blanc

Blanc comme mon esprit, blanc comme ma mémoire

Noyée dans le gin de la veille

Ce gin que je maudis de m’avoir endormie

Mes objectifs se sont assoupis, ivres

J’avais baissé les bras,

Mais Morphée m’a pris dans les siens

Et donc, me voilà

Encore là

Eh merde

 

Je contemple le plafond muet

Je hurle à l’intérieur aussi fort qu’autour de moi, on est sourd

Je suis lasse

Mon énergie se dissipe

Comme la mèche de plus en plus courte d’une chandelle fatiguée

« La mèche courte, c’est tout toi »,

me dirait ma mère.

Elle ne sait pas

Que je n’ai plus l’énergie d’être en colère

 

Mais maintenant, quoi, en fait ?

On m’avait dit de ralentir, d’en faire moins,

De me reposer

Mais je suis un véhicule qui dévale une colline,

Qui n’amasse pas mousse

Freiner, à ce stade-ci, me demanderait plus

Que de me laisser porter par ma vélocité

Et je vais si vite que je n’ai que des angles morts

Je ne vois rien, ne remarque rien, ne goûte à rien

Mon énergie, elle, est au point mort

Comme je voudrais être dans son état

Son état d’ébriété

 

Et maintenant, quoi ?

La veille, je ne voulais plus de lendemain

J’ai tenté de ne plus être

Et aujourd’hui, je suis

Fatiguée

Vidée

Sans idées

Sans volonté

La volonté s’est évanouie en même temps que moi

Je n’ai plus de quoi passer à l’acte

Dans le sillage de la veille, il n’y a plus rien

Juste le néant

Un fantasme de stagnation

Qui ne se réalisera pas

 

Je me lève, m’extirpe de mon lit

Vais me lover près de ma fenêtre

J’observe les passants

Les gens passent

Et passent

Et passent

Comme si la Terre n’avait pas essayé d’arrêter de tourner

Comme si les marques socialement inacceptables sur mes avant-bras

N’existaient pas

Comme j’aurais voulu que l’alcool m’ait laissé terminer le travail

M’ait laissé m’endormir pour de bon

Je soupire

C’est juste une autre journée, on dirait

J’ai tentativé, j’ai tentativéchouée

Eh merde

Je confesse à mes proches, on me fait promettre de ne pas récidiver

Sous peine d’emprisonnement

Un beau petit séjour stigmatisant aux frais de l’État

Qui promettait d’être plein de questions envahissantes

Sur ma frénétique descente qui n’amasse pas mousse

Vers la dépression

Toujours plus loin, toujours plus profond

 

Je regarde par la fenêtre

Les passants maussades courent se cacher

De l’absence de soleil

Mais qu’est-ce que je suis donc supposée faire, maintenant ?

 

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