2e prix au concours de poésie du Zone Campus (édition 2023)
Lendemain de veille
J’ouvre les yeux
Surprise d’être là
Encore là
Je cligne quelques fois
Mais maintenant, quoi ?
Tout est désespérément identique
Dans la maison sans mouvance
Le lavage à ranger, les jouets d’enfant à ramasser,
La vaisselle à laver, le travail à terminer
La liste de choses à faire ne s’est pas écourtée
Au contraire, elle s’allonge :
Regrouper mes idées, leur trouver une suite, panser mes plaies
Penser, panser, penser, panser
J’ai voulu m’écourter
Mais la liste, elle, elle ne veut rien savoir
J’essaie d’ignorer mes obligations,
Ai-je donc autre chose que ça, des obligations ?
Elles me tenaillent, me culpabilisent :
Comment oses-tu te reposer ?
Il y a des choses à ranger, à ramasser, à laver, à terminer, à faire
Mais je n’arrive pas à bouger, pas tout de suite
Ce ne sera ni mon premier,
Ni mon dernier repos
Et maintenant, quoi ?
Je soupire, immobile
J’ignore quoi faire
Je cherche à me mettre en marche,
Je cherche la marche à suivre
Mais c’est le vide
Je suis vidée
Je fixe le plafond blanc
Blanc comme mon esprit, blanc comme ma mémoire
Noyée dans le gin de la veille
Ce gin que je maudis de m’avoir endormie
Mes objectifs se sont assoupis, ivres
J’avais baissé les bras,
Mais Morphée m’a pris dans les siens
Et donc, me voilà
Encore là
Eh merde
Je contemple le plafond muet
Je hurle à l’intérieur aussi fort qu’autour de moi, on est sourd
Je suis lasse
Mon énergie se dissipe
Comme la mèche de plus en plus courte d’une chandelle fatiguée
« La mèche courte, c’est tout toi »,
me dirait ma mère.
Elle ne sait pas
Que je n’ai plus l’énergie d’être en colère
Mais maintenant, quoi, en fait ?
On m’avait dit de ralentir, d’en faire moins,
De me reposer
Mais je suis un véhicule qui dévale une colline,
Qui n’amasse pas mousse
Freiner, à ce stade-ci, me demanderait plus
Que de me laisser porter par ma vélocité
Et je vais si vite que je n’ai que des angles morts
Je ne vois rien, ne remarque rien, ne goûte à rien
Mon énergie, elle, est au point mort
Comme je voudrais être dans son état
Son état d’ébriété
Et maintenant, quoi ?
La veille, je ne voulais plus de lendemain
J’ai tenté de ne plus être
Et aujourd’hui, je suis
Fatiguée
Vidée
Sans idées
Sans volonté
La volonté s’est évanouie en même temps que moi
Je n’ai plus de quoi passer à l’acte
Dans le sillage de la veille, il n’y a plus rien
Juste le néant
Un fantasme de stagnation
Qui ne se réalisera pas
Je me lève, m’extirpe de mon lit
Vais me lover près de ma fenêtre
J’observe les passants
Les gens passent
Et passent
Et passent
Comme si la Terre n’avait pas essayé d’arrêter de tourner
Comme si les marques socialement inacceptables sur mes avant-bras
N’existaient pas
Comme j’aurais voulu que l’alcool m’ait laissé terminer le travail
M’ait laissé m’endormir pour de bon
Je soupire
C’est juste une autre journée, on dirait
J’ai tentativé, j’ai tentativéchouée
Eh merde
Je confesse à mes proches, on me fait promettre de ne pas récidiver
Sous peine d’emprisonnement
Un beau petit séjour stigmatisant aux frais de l’État
Qui promettait d’être plein de questions envahissantes
Sur ma frénétique descente qui n’amasse pas mousse
Vers la dépression
Toujours plus loin, toujours plus profond
Je regarde par la fenêtre
Les passants maussades courent se cacher
De l’absence de soleil
Mais qu’est-ce que je suis donc supposée faire, maintenant ?