Précieux Sang : Complaintes d’ouvrières invisibilisées

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L’équipe de rédaction du journal Zone Campus vous présente la série Nos Critiques Littéraires portant sur les livres québécois récemment parus. Crédits : Zone Campus

Dans son dernier recueil poétique, paru le 10 septembre 2025 aux éditions La Peuplade, Marie-Hélène Voyer prête sa voix à celles que l’histoire industrielle a trop souvent reléguées à la marge : les ouvrières. Celle qui était attendue au tournant après deux Prix des libraires du Québec poursuit son parcours impressionnant avec Précieux Sang, hommage aux écorchées du capitalisme. À travers cinq complaintes d’une justesse noble, l’autrice met en lumière ces vies de labeur ombragées par un XXe siècle impitoyable. 

Marie-Hélène Voyer, figure de la poésie contemporaine québécoise

Poète, essayiste et critique littéraire, Marie-Hélène Voyer voit le jour en 1982 au Bic, au Bas-Saint-Laurent (Québec). Celle qui a grandi dans la ferme familiale de ses parents est revenue s’installer dans sa région d’origine après avoir complété un doctorat en littérature contemporaine à l’Université Laval. Ainsi, l’autrice aux multiples casquettes est également professeure de français et de littéraire au Cégep de Rimouski.

C’est en 2018 qu’elle publie son premier recueil de poésieExpo Habitat (La Peuplade), explorant les terres rurales de son enfance. Plusieurs autres ouvrages ont fait d’elle une voix majeure de la poésie québécoise contemporaine. Se distinguant par son écriture incarnée, justicière et profondément sociale, son essai L’habitude des ruines et son recueil de poésie Mouron des champs lui ont valu deux Prix des libraires en 2022. 

Portrait de la poéte Marie-Hélène Voyer. Crédits : Les voix de la poésie.

Précieux Sang : Précieuses vies broyées 

Structuré en cinq complaintes, Précieux Sang s’affiche comme une inestimable mise en lumière de la condition ouvrière féminine au XXe siècle. Le recueil révèle des corps meurtris, brisés, saignés par un capitalisme inarrêtable et une cadence inhumaine. La destruction des chairs, sans parler de celles des raisons, s’inscrit au cœur d’un système qui use jusqu’à l’os, occultant les rouages épuisables d’inépuisables machines. 

Ici, pas de domination héroïsée ni de figure centrale. Simplement des voix superposées, des trajectoires individuelles confondues, formant une plainte collective où le sang rappelle la part sacrifiée de ces existences vouées au rendement. À travers des vers courts, brutaux et cinglants, Voyer écarte tout embellissement de la souffrance. L’écriture est au service d’une réalité essoufflante, répétitive et aliénante, à l’image du travail à la chaîne, dont elle reproduit la cadence implacable.

Le recueil de poésie Précieux sang de Marie-Hélène Voyer. Crédits : Facebook – Marie-Hélène Voyer.

Un recueil asphyxiant, mais nécessaire

Précieux Sang se positionne comme un ouvrage refusant tout confort. Loin de chercher à attendrir ou à consoler, il se veut avant tout confrontant, réaliste et fidèle. C’est ce qui fait son excellence : sa capacité à faire ressentir les blessures de ces corps désincarnés. En abordant les rapports de pouvoir, les inégalités de genre et la violence sociale sans les nommer, Voyer propose une expérience émotionnelle forte, où la douleur s’impose sans détours. 

Cette posture profondément politique éprouve : la noirceur des propos et la brutalité du texte laissent peu de place à la respiration. La sensation d’asphyxie rend parfois la lecture plus que simplement ébranlante : le besoin de s’arrêter devient crucial. Et c’est bien là que tout le talent de Voyer se déploie : dans sa capacité à faire éprouver physiquement l’oppression, à inscrire la fatigue et la douleur dans le rythme même de la lecture. 

Marie-Hélène Voyer remporte le Prix du CALQ 2023 – Artiste de l’année au Bas-Saint-Laurent. Crédit : CALQ.

Loin de la complaisance ou du décoratif, le recueil s’adresse à celles et ceux qui considèrent la littérature comme un espace confrontant de résistance et de lucidité. À travers cet ouvrage oppressant d’une cruelle nécessité, Marie-Hélène Voyer offre une réinscription essentielle dans la mémoire collective aux ouvrières oubliées. La poète rappelle ainsi que certaines blessures, tant qu’elles ne sont pas nommées, continuent de saigner

Pour consulter la fiche produit du livre ou l’acheter en librairie québécoise, vous pouvez consulter le site des libraires.

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