Ce samedi 7 octobre ont eu lieu deux événements lors de la 17e édition du OFF-Festival de Poésie de Trois-Rivières au Backstore du Dep Frida. Présenté en avant-première exclusive par ses réalisateurs Audrey Paquet et Steven Pagé, le film Fais-moi la poésie a été projeté en début d’après-midi. Il a été suivi en soirée par la carte blanche offerte au BDR pour une performance poétique, le tout, sous l’égide des premières fois.

Projection
La salle était pleine dans le Backstore, samedi. Présenté pour la toute première fois devant un public, le long métrage retrace la dernière édition du OFF-FPTR 2022 par le point de vue d’un groupe d’individus. D’inconnus, on est témoin de la genèse de leur amitié durant une fin de semaine riche en mots et en émotions. On nous dévoile leur intimité, leurs émois; on devient complices de leur complicité. Tourné en caméra à l’épaule dans un style de cinéma direct, on suit les jeunes poètes et poétesses en suivant le fil d’une question : et toi, pourquoi écris-tu de la poésie ?
«Pour libérer les mots, pour occuper les silences.»
Amélie Gagnon, dans le public de l’avant-première.
L’alternance des séquences entre le quotidien des protagonistes et leurs performances poétiques donne un rythme qui permet de reprendre son souffle entre deux shots d’émotions fortes. On passe du rire à la mélancolie, du poids d’un passé difficile à la légèreté des mots délicats empreints d’amour.

Fais-moi la poésie : genèse et apprentissages
Les réalisateurs ont pris la parole pour raconter la naissance du projet: « Émile [Boivin] a dit « amène ta caméra et filme! » et je venais de voir La bête lumineuse de Pierre Perrault, un film de cinéma direct. J’ai eu le goût de faire ça moi aussi […], donc je me suis pointé avec la caméra et j’ai filmé toute la fin de semaine. Au début, on se disait qu’on allait faire un genre de court-métrage avec ça, et quand on est revenus et qu’on s’est assis pour checker ce qu’on a filmé, on s’est dit: « crime, on fait un long métrage ! » ».

Après la projection, avait lieu un échange de questions. Une des difficultés de faire un film comme celui-ci, a été, d’après Steven Pagé, le fait de devoir toujours rester en retrait afin de se faire oublier. Celui qui filme, c’est en quelques sorte celui qui ne prend pas part aux festivités. Si l’expérience était à refaire, c’est un point sur lequel les deux réalisateur et réalisatrice s’accorderaient pour se partager la tâche. Audrey Paquet ajoute également qu’elle saurait déjà travailler à partir de l’image brute puis la monter, puisqu’elle a appris en même temps que le montage du film se faisait.
Crédits: Journaliste
Des difficultés à traverser
Une autre difficulté dans la réalisation d’un film au cœur de l’action comme se caractérise le cinéma direct est qu’il y a un nombre conséquent de prises vidéos qui sont à traiter au moment du montage. La réalisatrice évoquait lors de la projection qu’elle considérait cela comme un deuil. D’une part, celui de n’avoir pas filmé certains instants et d’autre part, de devoir en élaguer d’autres pour avoir un rendu final de qualité.
« J’essayais de voir la symbolique derrière les choses, quand une chose n’avait pas de symbolique, c’est là qu’on pouvait couper. J’essayais de trouver un fil conducteur, quelque chose pour nous rallier à l’histoire du film. »
Audrey Paquet, co-réalisatrice du film Fais-moi la poésie lors de l’avant-première.
Dans une entrevue accordée à l’émission Toute est dans toute (CKRL, 21 janvier 2023), Steven Pagé parlait de l’aspect collectif du projet. S’il a accepté de le faire, c’est parce qu’il voulait que les autres membres du groupe soient là durant le montage, qu’ils participent d’une façon ou d’une autre. Il raconte qu’au début, Émile Boivin et Audrey Paquet le regardaient faire, et ont appris ainsi. Une personne protagoniste du film, membre du BDR et co-animatrice de cette émission, Mona Déry-Jacquemin, ajoutait que Fais-moi la poésie était finalement un film sur la collectivité. Ce qui l’a marquée sont les moments d’intimité, dans leur bulle.
« La réponse [à la question pourquoi écrire de la poésie] peut changer de jour en jour, et elle peut évoluer, puis elle peut revenir et elle peut être différente selon tout le monde. Puis, elle peut être partagée aussi. C’est beau de pouvoir voir à quel point ça rejoint les gens peu importe notre singularité. »
Audrey Paquet, co-réalisatrice du film Fais-moi la poésie lors de l’avant-première.
Une soirée poétique
Pour ce deuxième soir du OFF FPTR, six poétesses et poètes du collectif BDR (Bestiaire poétique des Ruelles) ont participé à la traditionnelle soirée Carte blanche pour une performance sur le thème des premières fois.
Le Collectif BDR est queer, féministe et inclusif œuvrant par union du communautaire à l’art multidisciplinaire poétique afin de réanimer l’espace public et l’esprit des ruelles .
Présentation du collectif dans l’évènement du OFF-FPTR
À la lumière complice d’une intimité qui ne peut se dire qu’en poésie, les textes lus étaient alternés avec des enregistrements audio de chacun et chacune des participant.e.s livrant en aparté le récit de leurs premières fois. Parfois accompagné du doux son des oiseaux, parfois du crépitement d’un feu réconfortant, entrecoupé du tintements de cloches, l’envoûtement sonore enjoignait le public à entrer dans une bulle faite de mots, de maux, de secrets, de douleurs aussi confiées là comme on se confierait à un ami ou au creux d’un souffle tendre.
Premières fois de violence, premières fois de passion, d’amour, deuxièmes premières fois… Le regard droit dans les yeux du spectateur et enveloppés dans une ambiance tamisée due aux lumières de la mise en scène, on pouvait percevoir l’amour muet qui planait entre les performeurs et performeuses. Leurs mains liées, leurs regards empreints de douceur, leurs étreintes après chaque lecture, chacune riche tant par les mots employés que par les émotions qu’ils portaient. Mû par cette solidarité silencieuse les sujets abordaient la rigueur du patriarcat, la violence sourde envers les personnes de genre féminin, la banalité d’une domination masculine invisibilisée ou encore la précarité du droit à disposer de son propre corps.

Speak wet (…) nous savons que nous ne sommes pas seul.e.s
Audrey Paquet, lectures de poèmes au Backstore durant le OFF-FPTR.