Au diable l’avion et au diable l’hiver. Je décide d’aller passer la semaine de relâche en Floride et je m’y rends en voiture. Un total de 5 400 kilomètres aller-retour. Nous partons à 18h30 le jeudi, dans une tempête de neige. Nous roulons toute la nuit et regardons les degrés monter tranquillement.
Quand le soleil se lève, nous avons 12 heures de route sous la cravate. Nous avons dépassé New York et Washington en évitant leur trafic magistral. Nous sommes arrivés en Virginie et notre voiture est sale. Les voitures qui nous entourent sont d’une propreté impeccable. Obsédé, je fais un arrêt pour la nettoyer. Satisfait, je poursuis la route en me fondant dans le trafic.
Nous observons goulument le thermostat de la voiture. Les degrés montent! Celui qui affichait -15 degrés à notre départ frôle maintenant le 0. La route est si belle! Pas de nids-de-poule ou de bosses questionnables. La douceur totale d’une route presque neuve, n’ayant pas connue les rigueurs d’un hiver salaud.
La Caroline du Sud passe en un instant, puisque je dors. Ce n’est pas une grosse perte. Qui était cette Caroline, de toute façon? Un citoyen de cet État m’explique dans le stationnement d’un McDonald: «En fait, le nom Caroline est tiré du nom latin Carolus (Charles), en l’honneur du roi Charles 1er d’Angleterre». Quel hasard de rencontrer un professeur d’histoire dans ce stationnement de McDonald, me dis-je. Celui-ci bonifia son récit avec des dates: «La Caroline était un seul État jusqu’en 1729. La portion Nord fut cédée au gouvernement britannique. La Caroline du Sud, qui incluait la Géorgie, fut le second État à se révolter contre la couronne britannique». Bref, ce professeur d’histoire en connait beaucoup et je lui demande s’il enseigne dans une quelconque université. Il me demande un peu de monnaie et je réalise que je parle avec un sans-abri. Je lui paie un café et reprends la route, pensif. Qui était cette fameuse Caroline, finalement?
Dix degrés plus tard, nous pénétrons enfin dans l’État de la Floride. Nous roulons depuis bientôt 23 heures. La température n’est pas si chaude que nous le pensions puisqu’il commence à faire nuit. La route 95 Sud est longue et pénible. La voiture roule encore comme un charme. L’intérieur conserve cependant une certaine odeur. L’odeur de deux êtres humains fatigués qui y vivent depuis bientôt une journée entière.
J’ai envie d’un cornet de crème glacée. Mon anglais est très bon, mais j’oublie le nom anglais pour un cornet. Ma copine, étant née en Floride, est dotée d’un anglais parfait. Le mien est comme une voiture entreposée. Rouillée, émettant de drôles de sons et hésitante.
L’employée du McDonald me salue et me demande ce que je veux (oui, nous allons toujours dans les McDo pour le Wi-Fi et pour manger. Valeur sure et indémodable. En passant, 5$ pour 20 McCroquettes…!).
Et je m’élance, dans mon anglais le plus incertain qui soit, à la quête d’un cornet de crème glacée. «Hi, I’d like to have a… hum… a cornette of cream ice to the vanilla… heeeu». Ma copine me regarde bien sûr sans m’aider. Je ne lui ai pas demandé de toute façon. C’est comme essayer de trouver son chemin: quand on demande aux autres, on est souvent plus mêlé. L’employée lève un sourcil interrogateur. Donc, elle ne m’a pas compris. «I want an ice cream vanilla cornet?». Elle surenchérit d’un deuxième sourcil. Le dernier qu’elle pourra lever de toute façon. Un bruit me dérange dans ma recherche des termes exacts. On dirait le son d’un rire étouffé, d’une conjointe moqueuse. Qu’importe! Les heures de voyage et la fatigue d’une nuit sans dormir luttent contre ma mémoire. CONE! Oui! Un cornet en anglais est un cone. Ne reste plus qu’à les assembler dans le bon ordre. Je me lance pour la troisième fois: «Could I have a sweet, creamy vanilla soft serve in a wonderful crispy cone, please?» Et l’employée me répond avec nonchalance qu’ils n’en ont plus! Je m’éloigne du comptoir en jurant dans un français impeccable.
Nous arrivons à minuit au Lake Okeechobee, chez mon beau-père. Nous ferons la route jusqu’à Pompano le lendemain. Nous dormons si bien. Nous prendrons l’avion, la prochaine fois! Content de l’avoir fait cependant. Le lendemain matin, je me réveille avant ma copine. Je m’habille et me dirige vers le McDonald le plus près. Je m’assois dans l’herbe et savoure une crème glacée à la vanille, sous un soleil éclatant qui me fait un clin d’œil complice.