Regard sur le travail d’une spécialiste en éducation, dossiers Premiers Peuples

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Juste devant le bureau d’Émilie Hébert-Houle se tient une immense affiche de Jacques Newashish, l’aîné atikamekw en résidence à l’UQTR qu’elle a recruté et dont elle coordonne les activités à l’université. On vous présente ici le travail unique d’Émilie afin, notamment, de mieux comprendre l’importance et l’étendue de la contribution de Jacques Newashish à l’UQTR.

Émilie Hébert-Houle et Jacques Newashish le 25 septembre 2023 – Crédits photo : Mélissa Thériault

Parcours, entrée en poste et mandat

Émilie Hébert-Houle, géographe physique de formation, a commencé à s’intéresser aux perspectives autochtones pendant qu’elle occupait un emploi étudiant au Nunavik. Cet intérêt a habité son projet intégrateur au baccalauréat, puis sa maîtrise, grâce auxquels elle souhaitait faire des liens entre les chercheurs et les communautés inuites. Celle qui a passé les 15 dernières années à s’intéresser aux savoirs et perspectives autochtones dans le monde de l’éducation était donc la personne toute désignée pour devenir spécialiste en éducation, projets Premiers Peuples.

Ce poste, créé au début de 2021 par le Département d’éducation, était jusqu’à récemment unique au Québec (il en existe maintenant un similaire à l’Université de Sherbrooke). Émilie a comme tâche de travailler « à la décolonisation et à l’autochtonisation du Département des sciences de l’éducation », notamment en mettant en lumière des perspectives autochtones dans les programmes du département, en accompagnant les étudiants qui voudrait faire des stages en milieux autochtones et en formant le personnel sur les thématiques, réalités, perspectives et savoirs autochtones. Elle contribue aussi, dans ses propres mots, à « s’assurer que nos milieux sont accueillants et que nos étudiants autochtones se sentent en sécurité quand ils sont dans nos programmes et dans les murs de l’université ».

Par ailleurs, cette année, Émilie a géré l’agenda de l’aîné atikamekw en résidence, Jacques Newashish, pour toute l’université.

La grande affiche de Jacques Newashish devant le bureau d’Émilie Hébert-Houle – Crédits photo : journaliste.

Recrutement de Jacques Newashish

L’an dernier, Émilie avait invité Jacques, qu’elle connaît par personne interposée, à faire la cérémonie d’ouverture d’une conférence. Comme sa première exposition était à l’UQTR, Jacques – un artiste bien connu – était heureux de revenir à l’université, et il a rapidement souligné qu’il souhaitait s’y investir davantage. Émilie a ainsi pensé lui proposer de devenir l’aîné atikamekw en résidence de l’UQTR, une invitation que Jacques a très bien reçue : « Quand on m’a suggéré d’être l’aîné en résidence, j’ai dit oui tout de suite parce que j’avais déjà en tête de vouloir faire quelque chose dans l’université », souligne-t-il.

Le concept d’aîné en résidence a été adopté par de nombreuses universités. Plus connu au Canada anglais, il est toutefois aussi présent au Québec (à l’UQAM, par exemple). Selon l’Encyclopédie canadienne, les aînés autochtones sont « d’importants gardiens du savoir [qui] contribuent également à assurer la continuité culturelle » et « servent d’enseignants, de guérisseurs, de conseillers et d’accompagnateurs ». Bien qu’il s’agisse souvent de personnes âgées, ce n’est pas toujours le cas : il faut avant tout qu’ils soient reconnus comme tels dans leur communauté. Un aîné autochtone en résidence universitaire est donc un individu reconnu comme aîné qu’une université embauche pour qu’il ait un rôle similaire sur son campus.

Ayant perçu l’enthousiasme de Jacques, Émilie a présenté une demande pour utiliser les fonds dédiés aux projets avec les Premiers Peuples de l’université. Grâce à des signataires de nombreux départements, une subvention pour la présence d’un aîné deux jours par semaine a été accordée. Cela dit, pour la prochaine année, Émilie souhaiterait que le contrat de Jacques passe à l’institutionnel au lieu de dépendre de ce fonds afin d’en faciliter le renouvellement.

C’est le 25 septembre dernier, jour du lancement de l’énoncé de principe : Tisser des liens durables avec les Premiers Peuples de l’UQTR, que Jacques a signé son contrat de travail. Émilie souligne à quel point nous sommes chanceux d’avoir sur notre campus cet « artiste prolifique bien connu avec un parcours incroyable », cet aîné extraordinaire ayant des connaissances impressionnantes qu’il exprime avec brio.

Des rencontres déroutantes et émouvantes

On a déjà vu que Jacques va à la rencontre de la population étudiante à son « bureau » près de la cafétéria, mais il est aussi présent lors d’interventions planifiées dans le cadre de cours ou de projets. Il existe alors deux cas de figure : soit il intervient en classe, soit il est présent lors d’une sortie sur le territoire, notamment dans la pinède (forêt de pins) du campus. Ces sorties, basées sur la pédagogie du lieu, relèvent également de la pédagogie autochtone.

Lors de ses interventions, Jacques utilise fréquemment son tambour, ce qui touche les personnes présentes et en émeut plusieurs. Facile à aborder en général, Jacques a ainsi le don de rendre les gens à l’aise. Émilie indique avec fierté que, lors des périodes de questions, les étudiants bombardent Jacques. « Ils se sentent à l’aise d’être vulnérables dans leurs questions », explique-t-elle.

Jacques Newashish utilise le tambour dans le cadre d’une sortie sur le territoire dans les cours de didactique de la géographie et d’enjeux autochtones contemporains – Crédits photo : Émilie Hébert-Houle

Émilie explique que Jacques n’arrive jamais préparé à ces rencontres, qu’il est dans l’émergence – une démarche tout à fait autochtone. « Il va parler avec son cœur, très peu avec sa tête, et ça déstabilise les gens », souligne-t-elle. Elle décrit la pensée, en milieu autochtone, comme circulaire, comme repassant plusieurs fois aux mêmes endroits, ce qui est reflété dans les explications données par Jacques. Émilie explique que, même si les groupes ne comprennent parfois pas où ils s’en vont, tout finit par prendre forme de façon percutante.

Sortie sur le territoire, Chaire Ena-Terra – Crédits photo : Émilie Hébert-Houle

Pour elle, l’impact du passage de Jacques à l’UQTR est sans équivoque : « Tout le monde a vécu quelque chose au-delà de rencontrer une personne autochtone et d’apprendre des faits. Jacques est vraiment unique et très, très authentique. C’est vraiment quelqu’un qui touche le monde rapidement. Même en une heure de conférence dans un cours, les gens vivent quelque chose. Ça les transforme et ils ont envie d’en savoir plus sur les Premiers Peuples. »

Sortie sur le territoire cours d’écologie hivernale – Crédits photo : Jessica Bertolacci

Dix cours et plus encore

Comme son rôle d’aîné n’a pas encore fait l’objet d’un grand déploiement, Jacques se fait connaître à l’UQTR par le bouche-à-oreille. Émilie souligne toutefois que cela est suffisant pour remplir son horaire chaque semaine.

Jusqu’à présent, elle affirme que Jacques est intervenu dans dix cours, et beaucoup plus sont à venir. Il a participé à un cours de biochimie sur les plantes médicinales ; un sur l’inclusion scolaire en éducation ; un sur les perspectives sociales et culturelles de la santé en sciences infirmières ; un sur la didactique de l’écriture ; un sur la culture, la langue et la littératie en contexte autochtone. Les thématiques sont variées, tout comme les activités.

Dans le cadre d’un cours d’écologie hivernale en sciences de l’environnement, une journée de sculpture sur glace a eu lieu en prévision d’une exposition sur l’impact des changements climatiques sur l’hiver. Avec des étudiants de cours de didactique de la géographie, d’enjeux autochtones contemporains et de philosophie, une journée de sortie sur le territoire s’est tenue avec Jacques à La Tuque, au Conseil de la Nation Atikamekw, puis au domaine Notcimik, un site d’événements et d’activités culturelles.

Sortie sur le territoire en écologie hivernale- Crédits photo : Jade Dormoy-Boulanger
Sortie sur le territoire – Crédits photo : Jade Dormoy-Boulanger

Jacques est aussi intervenu dans un cours d’introduction à la culture québécois destiné aux étudiants internationaux. Par rapport à ce cours, qui comptait principalement des personnes africaines, il souligne : « C’est intéressant parce qu’on a quand même la même histoire, avec la colonisation. On a les mêmes valeurs, mais aussi les mêmes préoccupations tout en regardant vers l’avenir. »

En plus de ces activités, l’aîné atikamekw en résidence de l’UQTR participe à des projets à vocation communautaire et de recherche, en plus de rencontres de service à l’université. Et du potluck de Noël du Département d’éducation, puisqu’Émilie souhaite l’inclure et le faire connaître partout.

Des remises en question

Quand elle parle de pensées circulaires et de ses présentations non linéaires, Émilie souligne que les façons de faire de Jacques peuvent être confrontantes pour les Allochtones (non-Autochtones), habitués aux énoncés linéaires, surtout à l’université. Elle indique aussi que les interventions de Jacques comportent de longs silences, qui laissent place notamment aux bruits de la nature, et un rapport au temps différent, ce qui peut aussi être confrontant.

Mais cette douce confrontation n’est-elle nécessaire dans le cadre d’une démarche de décolonisation du savoir et de l’université? Il s’agit d’un thème que j’aborderai dans mon prochain article de cette série thématique.

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