Rencontre avec Jacques Newashish, aîné atikamekw de l’UQTR

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L’affiche qu’on peut voir à côté du « bureau » de Jacques Newashish – Crédits photo : Étienne Gélinas, Zone Campus

Je suis à l’université, nous sommes le jeudi 27 février et il est presque 11 h. J’attends Jacques Newashish, que je dois rencontrer pour l’interviewer. Je sais qu’il est dessinateur, peintre, sculpteur, acteur, cinéaste, conteur et chanteur, en plus d’avoir été récipiendaire de plusieurs prix artistiques… Pas besoin de dire que je suis intimidée. Aujourd’hui, cependant, je ne le rencontre pas pour discuter de son travail d’artiste, mais plutôt de son rôle à l’UQTR. En effet, Jacques Newashish y est l’aîné atikamekw en résidence, une nomination qui s’inscrit dans le cadre des efforts de réconciliation de l’université avec les communautés autochtones.

Quand je l’aperçois, de loin, je ne suis pas moins impressionnée : serein et grand, il a au moins une tête de plus que moi. Il est assis directement à la sortie de la cafétéria donnant sur le pavillon Ringuet – la sortie sur laquelle on tombe après avoir longé le corridor de fenêtres d’où on peut voir les cubes. Son « kiosque » se tient quelque peu anonymement entre les toilettes.

Quand j’arrive, Jacques est au téléphone et mentionne qu’il est actuellement à « son bureau ». Après une bonne poignée de main, on s’assoit pour commencer l’entrevue et, tout de suite, il se plonge généreusement dans son rôle et le sens profond qu’il donne à celui-ci. Je vous présente ici quelques extraits abrégés de nos importants échanges.

L’entrevue

Qu’est-ce que vous faites en ce moment?

Je suis l’aîné en résidence à l’université depuis septembre ou octobre, je dirais. C’est ma deuxième session. Je termine ma session bientôt, au mois d’avril, et je vais voir si on renouvelle le contrat – parce que c’est un contrat. Mon rôle en tant qu’aîné en résidence, c’est bien sûr le rapprochement, la sensibilisation, mais aussi de faire connaître la culture autochtone et bien sûr les individus autochtones. Alors, je suis là pour initier et éduquer, enseigner aux gens qui veulent en connaître un petit peu plus la culture autochtone. Alors, on est dans mon bureau ici.

Oui, je vous ai entendu parler de l’endroit comme de votre bureau tantôt!

J’ai choisi mon bureau parce que je vois les gens s’en venir et ils me voient aussi. Les toilettes sont juste là. Le but, c’est que les gens me voient. Souvent, c’est leur premier contact avec un Autochtone, puis ils posent des questions à ce moment-là. Les gens sont curieux, puis ça ouvre un petit espace dans leur cerveau. En même temps, je suis aussi là pour des groupes.

Jacques Newashish devant son installation. Autour de lui, des membres du public prennent part à l’œuvre collective. Crédits photo : Claire-Helene Piuze, Zone campus

Je serais curieuse de savoir quel genre de questions les gens vous posent ici, pendant qu’ils vous voient en sortant de la cafétéria et en classe. Qu’est-ce qui intéresse les étudiants et étudiantes?

Souvent, ils me demandent où c’est, d’où je viens, et de quelle nation je suis. Alors, j’explique les Atikamekws, je dis que c’est une nation et qu’il y en a douze au Québec. Je leur dis aussi : c’est à vous autres à faire votre part pour votre curiosité. Ils se demandent comment est-ce qu’on vit aujourd’hui. On ne vit pu comme on vivait dans le temps, dans les « tipis »; on est maintenant dans le monde contemporain, on évolue là-dedans et on veut évoluer aussi. On me pose aussi souvent des questions sur l’appropriation culturelle, on se demande c’est quoi. J’essaie de répondre le mieux possible, je n’ai pas toutes les réponses, mais j’en connais un bout quand même. Il faut se renseigner et faire attention, c’est tout. Il faut reconnaître que certains Autochtones n’aiment pas qu’on utilise leur image, leur savoir, etc. C’est une question de consentement.

Qu’est-ce qui, selon vous, manque aux étudiants originaires du Québec dans leur formation sur les communautés autochtones?

Je pense que ça commence justement au primaire et au secondaire, il faut mettre l’accent sur l’histoire. Parce que ça fait partie de l’histoire de chaque personne : on fait partie de la même histoire. Bien sûr, ils ne connaissent pas vraiment l’histoire de la colonisation au Canada, au Québec. Mais je sais qu’il y a des efforts qui se font dans les écoles primaires, je pense qu’il faut travailler avec cette génération-là qui va nous suivre. Ici, je suis content : quand on m’a suggéré d’être l’aîné en résidence, j’ai dit oui tout de suite parce que j’avais déjà en tête de vouloir faire quelque chose dans l’université, et le fait de jouer le rôle de l’aîné en résidence me permet de côtoyer des étudiants de tous âges, de toutes les nationalités. Mon travail, en tant qu’« artiste »…

Pourquoi est-ce que vous mettez des guillemets?

« Artiste » parce qu’on n’a pas de mot, dans notre langue pour dire « artiste ». On dit juste que quelqu’un est bon pour faire quelque chose. Il est bon pour faire des haches, bon pour faire des raquettes, il est bon pour la chasse, il est bon pour dessiner.

Intéressant! Donc…

Je touche aux arts, au dessin, à tout ça, depuis ma jeune enfance. Quand j’étais au primaire, je dessinais beaucoup. J’étais dans ma bulle, ça m’a permis de retourner dans mon territoire pendant que j’étais dans mes cours, dans mes moments libres. Comme j’étais au pensionnat, j’étais retiré de mon milieu, de ma famille, du territoire. Alors quand je dessinais, ça me permettait de retourner du côté des souvenirs. Alors, en tant qu’Autochtone, à la longue, ça m’a permis d’aller à l’extérieur pour que je puisse, justement, éduquer les non-Autochtones sur ma culture, sur l’identité, sur le territoire, et sur les enjeux qu’on vit ou qu’on a vécus aussi. J’ai vu que je pouvais éduquer les gens, renseigner les gens sur mon identité autochtone, sur l’histoire, sur les émotions, sur ce qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Mon travail, le fait de l’emmener à l’extérieur et de le montrer, de l’expliquer, c’est aussi ce que je fais présentement en tant qu’aîné. Je continue à faire déjà ce que je faisais à l’extérieur, à travers l’art. J’amène cette vision-là ici.

Jacques Newashish avec quelques-unes de ses œuvres – Crédits photo : L’Écho de La Tuque

Donc, votre rôle d’aîné atikamekw en résidence est vraiment une continuation de ce que vous aviez déjà fait avec votre travail d’artiste?

Oui. Je le dis souvent et je le répète encore aujourd’hui : je suis un ambassadeur de ma culture autochtone dans son intégralité, dans son histoire d’aujourd’hui et dans ses visions pour l’avenir, aussi.

Est-ce qu’il y a quelque chose que vous avez vécu en tant qu’aîné à l’UQTR qui vous anime ou qui vous a beaucoup interpelé?

L’ouverture que les enseignants ont par rapport à la culture autochtone. Ils veulent en connaître un peu plus, mais ils veulent aussi en faire connaître aux étudiants. Je suis toujours heureux, emballé d’aller dans ces cours parce que je suis bien accueilli, parce que le professeur a de l’intérêt. C’est l’intérêt qui m’anime. L’humain, aussi. Et le fait de croiser des étudiants que j’ai rencontrés dans leurs cours et dans les activités.

Interruption

Notre entrevue a été ici interrompue par Émilie Hébert-Houle, conseillère en éducation (affaires autochtones), qui emmenait Jacques dans un cours. Au moment d’enfiler son manteau, Jacques me lance que je dois absolument mentionner Émilie et son travail exceptionnel dans mon article. Nos quelques échanges suffisent à me convaincre de la nécessité d’un deuxième article sur les interventions de Jacques Newashish dans les cours et les activités extérieures de l’UQTR, les projets dont il fait partie et ses collaborateurs. Je vous reviens donc la semaine prochaine avec une suite!

Activité sur le territoire avec Jacques Newashish – Crédits photo : Site Web de l’UQTR

Pour en savoir plus

N’hésitez pas à vous documenter sur les pensionnats indiens (comme ils étaient appelés à l’époque) auprès notamment de L’Encyclopédie canadienne et du Centre national pour la vérité et la réconciliation. Pour en savoir plus au sujet des nations autochtones, vous pouvez entre autres consulter le site de l’Alliance Autochtone du Québec ou vous rendre au Centre d’amitié autochtone de Trois-Rivières.

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