Tout est bizarre: De la perte de sens

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Le sens, cette vérité qui justifie notre existence. Cette grande question existentielle qui influe sur notre quotidien. Pour répondre des vicissitudes de la vie, du nihilisme de la condition humaine, des guerres, des faims et de ces enfants qui ont du sang sur les mains, comment ne pas tenter l’expérience de penser et opposer, à cette folie incombée, un petit quelque chose de sensé.

De toutes les époques, l’humain a cherché à donner sens à l’inconcevable, à se fabriquer de fausses vérités ou encore à se libérer du fardeau de l’absurde dans une dévotion pieuse. Par exemple, les sages de l’Antiquité expliquaient les phénomènes naturels, le soleil, les étoiles et la lune, dans des histoires déifiées portées par la plume. Mais ce sens qu’ils se donnaient est obsolète et incompatible à notre temps. Il serait grotesque, en modernité, de fonder le mouvement des étoiles sur des dieux voguant à pleine voile. Cela serait absurde. Or, cette explication naïve qu’ils se donnaient offrait un rempart à l’ignorance et la douceur réconfortante émanant de la sécurité que procure une illusion de sens. Il prenait cette explication pour une vérité. Mais cette illusion, même si elle s’avère n’être qu’une construction de l’imagination, offre les mêmes bienfaits à l’individu mystifié qu’un sens réellement fondé. S’il en était ainsi autrefois, pourquoi serait-ce différent aujourd’hui?

À chaque époque son sens. Pour notre époque contemporaine, il me semble que la science est reine. Du moins, elle peut prétendre donner sens et comprendre est indéniablement son essence. Observez le siècle dernier, cette maîtrise exponentielle de la nature ne peut être négligée. Au milieu du XXe siècle, l’Homme dit : «Que la lumière soit», et la lumière fût, ainsi que la radiation, l’électromagnétisme et toutes les forces de l’univers, même subtiles, que l’on cloître dans la tête des missiles. Il est absurde que tout ce savoir maîtrisé serve à nourrir l’art de tuer. La maîtrise de la science sur la nature peut sembler donner sens, mais elle est un non-sens si elle détruit le monde.

L’argent, aussi, est un des phares de notre temps. Il suffit de poser notre regard sur les mégapoles pour considérer les tours de verre, les gratte-ciels, comme notre lègue architectural d’acier et de cristal. Ce sont de futures ruines offertes aux enfants de nos enfants comme mémoire de notre temps. Or, ces imposants édifices, aptes à faire rougir de jalousie les Jardins de Babylone, sont presque exclusivement des sièges sociaux, des délires mégalomanes d’hommes trop riches ou des carrefours majeurs de l’économie.

Au milieu du XXe siècle, l’Homme dit : «Que la lumière soit», et la lumière fût, ainsi que la radiation, l’électromagnétisme et toutes les forces de l’univers, même subtiles, que l’on cloître dans la tête des missiles.

Vérifiez, les villes prospères et bien développées s’agglomèrent autour du pivot des quartiers dédiés à l’économie, et ce petit morceau de terre réservé aux champions, où les tours de verre poussent comme des champignons, se présente désormais en gestes serviles comme le cœur battant de nos villes. Il est dès lors indéniable que le sens encensé de notre époque se retrouve en ce que l’économie évoque. La reine science au service de l’argent et vivons du capitalisme triomphant car la monnaie, l’outil des échanges d’antan, a désormais force de vérité. Tout ce qui est dans l’univers humain se réduit à la perfection d’un sens exprimé en dollars, en cents, en euros et en yens. L’économie se veut donc le sens de notre temps et qui voudra en douter n’aura qu’à regarder les chaînes qui le lient aux banquiers.

Mais tout cela, l’argent, la science ou la religion ne sont que des sens de conventions. Ce sont des fuites, des raccourcis, des fantasmes pour ne pas souffrir de l’insensé. C’est la certitude que l’homme peut atteindre une vérité sans considérer qu’il est faillible et biaisé d’emblée.

C’est l’anthropocentrisme et l’anthropomorphisme de tout ce que l’on évoque dans notre conception du monde, de l’alphabet et du sens des mots jusqu’à la numération. La science demeure une alternative acceptable pour donner sens, mais la problématique demeure car plus la science explique les choses, plus les questions sont grandes, sans jamais pouvoir atteindre une théorie unifiée. Pour preuve, la relativité générale est incompatible avec les mécaniques quantiques. De plus, même si une théorie unifiée existait, elle serait si abstraite qu’elle serait dénaturée.

Néanmoins, il est de notre droit, et peut-être même une nécessité, de s’aveugler volontairement de nos dogmes. C’est le vide laissé par le recul du religieux comme force de vérité et de lois, et la vie a horreur de la vacuité. La condition de l’homme moderne, du moins en occident, est blessée par cette perte du sensé. En réaction, notre société s’affole et s’appuie parfois sur l’ignominie. La perte de sens est peut-être même cause de décadence, à moins qu’elle n’en soit la résultante. Néanmoins, individuellement, nous croyons en des vérités, nous nous donnons sens, souvent dans ce qui nous plaît, là où l’on se complait, dans une recherche de bien-être et de bonheur. Nous croyons en nous, nous croyons en nos enfants ou encore nous croyons en nos rêves et, qui sait, n’est-ce pas là quelque chose de réellement sensé.

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