Parlons de la folie, voulez-vous? Je ne parle pas de handicap mental ni de quelconques déficiences observables, je parle de folie. Plus particulièrement, parlons de ces troubles nerveux, de ces tics manifestes et de ces habitudes propres à chaque être vivant causés par les phénomènes de cette hallucination congénitale qu’est, à mes yeux, l’activité irradiante, continue, de la conscience. Bref, nous sommes tous plus ou moins fous! Nommons cela un petit hymne à la folie.
La folie possède ses propres mécanismes modulés à l’image de l’Homme et évolue, se métamorphose dans sa forme au cycle des modes. En tant que chapitre spécial d’une philosophie générale, la folie a toujours fasciné, sans jamais être proprement déterminée. Elle n’a que très rarement été abordée d’une façon strictement scientifique, c’est-à-dire objectivement, sans morale ni jugement. Presque tous les auteurs qui ont traité de la question sont remplis de préjugés et cherchent avant tout à s’exorciser de la culpabilité de leurs propres déviances et à réhabiliter la folie d’eux seuls.
Néanmoins, avant de rechercher et d’examiner les mécanismes des causes les plus morbides, les psychiatres considèrent la «maladie en soi», la condamnent comme un état exceptionnel, nocif et indiquent de prime abord les mille et une façons de la combattre, de la réduire, de la troubler dans son développement et de la supprimer par les drogues et les médicaments. Aussi, ils définissent d’emblée la santé, pour faire leurs œuvres, comme un état normal, absolu et résolument fixe. Le standard de la société du moment, la folie la plus répandue et la plus synchrone aux standards de convention deviennent, dès lors, une définition de la santé mentale. Mais ce standard, cette convention de la folie, évolue et change aux flots des époques. Par exemple, l’angoisse contemporaine n’est-elle pas simplement un symptôme des caractères malsains de notre société? Et le génie, si proche de la folie, ne s’en diffère qu’au regard du conventionnel et, peut-être, de par une plus grande capacité à la communiquer.
Ce que l’on appelle conventionnellement «santé» n’est, en somme, que tel aspect momentané, transporté sur un plan abstrait. Un cas particulier déjà franchi, reconnu, défini, éliminé et généralisé à l’usage de l’universalité. Comme un mot qui n’entre au Dictionnaire de l’Académie française qu’une fois usagé, dépouillé de la fraicheur de son origine populaire ou de la profondeur de sa valeur poétique. La définition que l’on donne à ce mot le conserve, l’embaume, quoique décrépit, dans une pose noble, fausse et arbitraire qui ne s’était jamais connue au moment de sa vogue, alors qu’il était actuel, vivant, immédiat et modulable au gré du parler populaire. La santé mentale, reconnue comme un bien public, n’est qu’un triste simulacre figé dans le conforme. Lieu commun, cliché physiologique, la normalité est une chose morte, et c’est peut-être bien la mort.
Les épidémies de folies sont comme les cataclysmes telluriens dans l’histoire géologique de notre planète, marquant les époques de l’évolution humaine d’empreintes subtiles, mais nécessaires à la forme générale des choses. Tout savant qu’ils sont, les médecins de l’esprit, aujourd’hui, s’éloignent de plus en plus de l’étude et de l’observation de la nature, se cloitrant dans un positivisme scientifique absolu de peur d’être châtiés par leurs ordres. Ont-ils oublié que la science doit s’édifier sur la nature et se modeler selon ses dimensions plutôt que d’abstraire la nature dans le cadre formel spécifique et théorique d’une science hermétique?
Au nom de quelle loi, de quelle morale, se permettent-ils de sévir, eux, les médecins de la tête? Ils internent, séquestrent, isolent et détruisent chimiquement les individus les plus marquants, les plus hors de la convention. Ils sont les protecteurs de l’équilibre précaire du préétabli. Ils sont, plus que tout autre, à la fois créateurs et gardiens de la normalité. Ils se targuent avec orgueil de comprendre les consciences et habillent leurs langages codifiés de défroques grecques et latines. Ainsi affublés, ils s’insinuent partout, même auprès des enfants, au nom d’un libéralisme rationnel de boutiquier et vendent à grand prix leurs élixirs, leurs injections et leurs drogues variées et toxiques au nom des grands empires de la pharmaceutique. Déjections sont ces injections! Ils se sont faits les suppôts d’une vertu bourgeoise, ignoble et exclusive du maintien de l’esprit humain tel qu’il doit être, pour eux, plutôt que tel qu’il est, pour nous.
Les psychiatres ont mis leurs savoirs, leurs folies, au service d’une police d’État et ont organisé la destruction méticuleuse et systématique de tout ce qui était idéaliste, c’est-à-dire différent et indépendant. Habiles, ils ont créé des dépendances à leurs drogues viles et ont nommé de nouvelles maladies virales pour vendre de nouveaux produits mercantiles. Ils châtrent les passionnels et séquestrent les hommes libres. Leur vanité n’a d’égal que leur fourberie et l’hypocrisie seule met un frein à leurs volontés de puissance, l’hypocrisie et la concupiscence.
Ils ont édifié des maisons closes aux fenêtres de barreaux et aux portes gardées. Là, prisonnier de la science, tout est agencé pour l’entretien et l’épanouissement des vices les plus rares. Là, la science la plus raffinée favorise le délire de détraqués et de maniaques qui se déchainent dans une complexité effroyablement moderne. Là, rien n’est monstrueux, ni contre-nature, car tout n’est que folle désinvolture. Voilà donc où je voulais en venir, un réquisitoire terrible contre les psychiatres, détruire leur pouvoir, libérer les fous et livrer les médecins à la vindicte publique! Excusez-la!