Les nombres sont absolument fantastiques. Les nombres sont régis par une logique parfaite, un fait banal absolument inné, le fait de compter. L’histoire des mathématiques est, en ce sens, un domaine d’étude merveilleux.
À l’origine, tous les peuples se sont donné des nombres. En fait, les nombres viennent toujours en même temps que l’écriture. À la vieille citée de Sumer, en -3400 av. J.-C., les premiers nombres connus sont survenus en même temps que l’écriture cunéiforme et servaient à faciliter la gestion du commerce. Nos nombres à nous, ils sont arabes, et c’est sans doute la plus ergonomique des formes de numérotation connue. Du moins, c’est mieux que les chiffres romains.
Sachez par contre que si l’on compte sur une base dix, c’est pour la simple raison que l’on a dix doigts. La base dix est ainsi la forme de logique mathématique la plus commune aux anciens peuples, mais d’autres bases de numérotation ont existé. Les Sumériens, par exemple, ont fondé la première forme de numérotation sur un système sexagésimal, sur une base 60. Imaginez le topo: compter jusqu’à soixante pour avoir une soixantaine, et soixante fois une soixantaine pour atteindre notre équivalent logique de 100, mais avec une quantité largement supérieure… C’est pour cette raison que l’informatique a permis une émancipation mathématique sans précédent en dépassant nos limites conditionnées. Ainsi, nous savons que peu importe la base utilisée, les nombres irrationnels demeureront irrationnels. «Pi» et «le nombre d’or» seront toujours infinis et ne répéteront jamais la même séquence dans leurs décimales, peu importe la base utilisée.
Les grandes découvertes de jadis
Il serait naïf de croire que les nombres n’existaient pas avant la numérotation, aussi bien que de dire que les mots n’existaient pas avant les lettres. Ce n’est qu’une mise en forme officielle d’un fait social. Avant Sumer, l’être humain parlait et comptait; il ne pouvait simplement pas l’écrire. Il n’y a aucun moyen de savoir depuis quand on compte. Probablement que même les grands singes comptaient sur leurs doigts. Et toujours, les nombres sont écrits pour la première fois au service du commerce. Par contre, avec les nombres écrits, les mathématiques proprement dites ont émergé rapidement partout, dans toute leur complexité.
À ce moment précis, lorsqu’on se lance dans l’observation des mathématiques de jadis, on comprend à quel point on ne peut pas comprendre le passé. Par exemple, la maitrise du «0» est une révolution en soi. Il semble, en toute humilité de ma connaissance sommaire, que l’Inde ait maitrisé le «0» en premier. En fait, les mathématiques indiennes antiques sont si fondamentales qu’elles ont influencé les mathématiques chinoises et arabes. Imaginez découvrir le «0»: comment ne pas y penser! Pire, la première apparition connue des nombres négatifs se trouverait dans Les Neuf Chapitres sur l’art mathématique de Jiu zhang suan shu, en -200 av. J.-C. Rapidement, le commerce a exporté la négative en Inde où il a servi à calculer une dette pour la première fois de l’Histoire.
Les Romains n’avaient pas de «0» et, ni eux, ni les Grecs, n’avaient de négatif.
Pendant ce temps, en Occident, ce sont les Grecs qui dominent les mathématiques, avec entre autres Pythagore qui était, soit dit entre nous, le chef d’une secte. Les Grecs possédaient le «0», du moins comme représentation d’une fraction, mais jamais comme un nombre. Les Romains, par contre, n’avaient pas de «0» et, ni eux, ni les Grecs, n’avaient de négatif. La dette s’écrivait alors en positif. Fait notable, il faut attendre le tournant de l’an 1000 de notre ère pour voir apparaitre le nombre négatif, avec l’invasion massive des nombres arabes au détriment des chiffres romains. Encore une fois, il a servi à représenter une dette; la négative est ainsi nommée perte, comme chez Fibonacci (dont la séquence vaut vraiment le détour). Aussi, après l’adoption des nombres arabes, simultanément à la renaissance italienne, l’Occident redécouvre les mathématiques pures.
Les restes chinois
On parle, mais les mathématiques ne sont pas les mots. Alors voilà, pour conclure, les restes chinois. Ce sont les plus vieilles énigmes mathématiques d’Asie, qui datent du IIIe siècle, rédigées par Sun zi: «Soient des soldats en nombre inconnu. Si on les range par 3 rangs, il en reste 2. Si on les range par 5 rangs, il en reste 3 et si on les range par 7 rangs, il en reste 2. Combien a-t-on de soldats?».
Et la seconde: «Une bande de 17 pirates possède un trésor constitué de pièces d’or d’égale valeur. Ils projettent de se les partager également, et de donner le reste au cuisinier chinois. Celui-ci recevrait alors 3 pièces. Mais les pirates se querellent, et six d’entre eux sont tués. Un nouveau partage donnerait au cuisinier 4 pièces. Dans un naufrage ultérieur, seuls le trésor, six pirates et le cuisinier sont sauvés, et le partage donnerait alors 5 pièces d’or à ce dernier. Quelle est la fortune minimale que peut espérer le cuisinier s’il décide d’empoisonner le reste des pirates?».