Tout est bizarre: L’histoire

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L’histoire est un phénomène fascinant: une multitude de souvenirs, une suite continue de vies qui se présentent à nous telles des photographies. J’adore l’histoire, j’aime savoir d’où on vient, le chemin qui nous mène où on en est, et ça permet d’appréhender où on va. J’ai même déjà songé à étudier en histoire, mais j’avais peur de me perdre dans la recherche et les vieux documents. Néanmoins, l’histoire est une chose appréciable, une chose vivante et toujours en acte, et ne pas s’y attarder représente un grave manquement au devoir. C’est même un manque de respect envers nos ancêtres, envers leurs histoires. Ce chaos de probabilités infinies qui a permis que votre naissance survienne, qui a permis la rencontre de vos parents, qui a permis que leurs parents à eux se rencontrent, et ainsi de suite jusqu’à Adam et Ève, n’est qu’une petite tranche très fine de l’incroyable chaos de liberté qui meut l’histoire humaine.

Ce que nous nommons histoire n’est que le produit fini. Combien de peuples ont été exterminés? Combien de glorieux sont morts en vain? Qu’avons-nous oublié, le mieux ou le pire? Aimer l’histoire, c’est discuter avec un génie surdoué qui serait sourd, muet et illettré. Nous avons retenu les vainqueurs et les grands évènements, la vue d’ensemble demeure fidèle. Par contre, nous oublions le plus savoureux, nous oublions les détails. Nous oublions ce soir-là, dans la cave à vin de Benjamin Franklin, où les convives, ivres, critiquaient les Anglais pour la première fois, engendrant ainsi ce qui sera la Révolution américaine. Ou encore, cette taverne parisienne où se tramèrent les premières épopées de la Révolution française. Et cette querelle fratricide qui donna naissance à la ville de Rome. Ce sont ces petits évènements contingents qui donnent forme à l’histoire.

Le point Godwin

Vous connaissez le point Godwin? C’est une règle empirique qui stipule que plus un débat dure longtemps, plus les chances d’avoir une comparaison avec les nazis ou Hitler s’approchent de «1». Mais comment ne pas parler d’Hitler lorsqu’on parle d’histoire? Car Hitler est un des cas les plus marquants de ces individus qui ont changé le cours du temps, et il est récent. Mais Hitler n’est pas seul; il y a aussi Napoléon, Charles Quint ou Jules César par exemple. Pourquoi ont-ils influencé à ce point l’histoire? Est-ce une suite de choix et d’évènements anodins qui ont fait ce qu’ils furent, ou est-ce le destin? C’est là qu’on entre dans le vif de votre appréhension de l’histoire, voire même de votre perception de la vie.

Car on peut prétendre au destin, et il y a une chance sur deux que ce soit le cas. Ainsi, qu’importe la contingence, Hitler aurait fait, d’une manière ou d’une autre, ce qu’il a fait. À l’opposé, on peut prétendre qu’Hitler a fait ce qu’il a fait en raison d’une multitude d’évènements oubliés. Il est possible qu’un enfant juif lui ait mené la vie dure à l’école ou que son père lui ait transmis des préjugés. Que s’est-il passé lorsqu’il prit la parole pour la première fois dans un pub de Munich? J’adore les premiers chapitres des bibliographies, l’enfance, savoir comment ils se sont rendus là. Qu’étaient-ils lorsqu’ils n’étaient, comme nous, que de petits rouages de l’histoire? C’est donc pour cette raison que la loi de Godwin existe, c’est pour ça qu’on finit toujours par parler d’Hitler, parce qu’il évoque la lutte entre le destin et la liberté.

La part du choix

C’est là une grande question existentielle: sommes-nous libres de nos actes? Gavrilo Princip aurait-il assassiné l’archiduc d’Autriche qu’importe son enfance? Était-ce son destin? Étions-nous destinés à naitre; notre vie est-elle déjà écrite? Si on répond «non», si on prétend au libre arbitre et à la toute divine puissance du hasard, les choses deviennent complexes. L’histoire, dès lors, devient un absolu chaos où seuls les plus forts écrivent. C’est ainsi que les petits détails savoureux prévalent, ils sont les moteurs premiers de l’histoire. C’est la part du déterminisme. Car c’est probablement dans l’enfance des grands personnages historiques que se trouve le germe des plus grandes gloires ainsi que des plus grandes tragédies.

Est-ce une suite de choix et d’évènements anodins qui ont fait ce qu’ils furent, ou est-ce le destin?

Que sait-on?

Mais qu’en reste-t-il de cette histoire de l’espèce humaine? Que sait-on vraiment? Plusieurs biais brouillent notre vision du passé. Les Grecs, par exemple, n’avaient aucun concept de nation. Ils n’avaient que la polis, la ville, quelque chose comme un conseil municipal, comme force suprême de la politique. Leur conception de la citoyenneté avait aussi une valeur beaucoup plus glorieuse et élitiste que notre conception actuelle.

Aussi, lorsque les Portugais établirent un premier contact avec le Japon en 1542, ils découvrirent que les Japonais n’avaient aucune conception de liberté, mais possédaient sept concepts différents pour nuancer la beauté. Des guerres furent déclarées, dans le Japon féodal, pour un cerisier mal fleuri. Comment peut-on comprendre ça?

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