Présenté en avant-première lors du Festival du Film de Venice, Nomadland, le troisième long métrage de Chloé Zhao a remporté de nombreux prix, dont un Lion D’or, et le prix du public lors du Festival du Film de Toronto. Par ailleurs, lors de la 78e cérémonie des Golden Globes, Nomadland a remporté de nombreux prix, dont meilleur film, meilleure réalisation et meilleure actrice. En ce sens, par ce prix, Chloé Zhao est devenue la deuxième femme à remporter le prix de la meilleure réalisation et par la même occasion, la première femme d’origine asiatique.
Rappelons-nous que c’est elle qui nous avait offert les films Song my Brothers Taught Me (2015) ainsi que The Rider (2017). Cette fois-ci, avec Nomadland, Chloé Zhao nous propose une magnifique adaptation du livre Nomadland: Surviving America in the Twenty-First Century (2017). Le film est en nomination dans six catégories lors de la prochaine cérémonie des Oscars soit meilleur film, meilleure réalisation, meilleure actrice, meilleur scénario d’adaptation ainsi que la meilleure direction photo. Est-ce que le film a des chances de remporter plusieurs statuettes? Absolument!
Nomadland: La douce mélancolie de la liberté
En 2011, suite à la mort de son mari et à la fermeture de l’entreprise pour laquelle elle travaillait depuis plusieurs années, Fern (Frances McDormand) décide de vendre la majorité de ses biens personnels et d’acheter une caravane afin de vivre sur la route. Dans sa caravane nommée Vanguard, elle conserve précieusement quelques objets ayant appartenu à son défunt mari.
Dès les premières images du film, on comprend qu’il s’agit d’un film sur les difficultés associées à l’acceptation. Ici nous ne sommes pas dans l’optique du personnage de Christopher McCandless du film Into The Wild (2007). Il s’agit plutôt d’une ode poétique à l’indépendance américaine qu’engendrent les excès du consumérisme américain. Mais aussi à la douleur de la perte d’un être cher et la douleur de l’attachement.
Malgré ses nombreuses rencontres, et l’inquiétude de sa famille face à son nouveau mode de vie, Fern ne peut se résoudre à adopter de nouveau son ancien mode de vie. Lors d’une rencontre, une adolescente dont elle avait été la tutrice s’inquiète pour elle et lui explique qu’elle va bien et qu’elle n’est pas itinérante: «-My mom says that you’re homeless. Is that true? -No, I’m not homeless, I’m just houseless». Après tout, tout est une question de perspective. Et tout comme dans Trois Couleurs: Bleu de Krzysztof Kieslowski, le chemin parcouru par Fern va lui permettre de surpasser sa souffrance et de vaincre sa solitude, le prix de sa liberté nouvelle.
Nomadland: Une odeur de grande récession
Chloé Zhao dresse avec une grande beauté les fresques du rêve américain et de la souffrance des gens forcés à l’exil lors de la grande récession. Afin de subvenir à ses besoins, Fern se déplace de ville en ville afin d’obtenir du travail. À l’approche de Noël, elle travaille de manière contractuelle pour Amazon, la représentation par excellence du consumérisme et de l’aliénation du travail à la chaîne.
Dans la soixantaine et sans réelle spécialisation, les emplois sont rares, mais les rencontres sont nombreuses. Au fil des rencontres se dresse un magnifique portrait de la sociabilité des femmes nomades, mais surtout de ces femmes qui n’ont pas accès à une sécurité d’emploi. Par ce partage d’expérience, elle débute un parcours de guérison personnelle.
Un jour, elle rencontre Swankie (Charlene Swankie), une vieille dame de 75 ans qui habite elle aussi dans une caravane et tous les deux vont avoir une conversation sur la solitude, l’absurdité de la vieillesse et de la mort. Étant déjà malade, Swankie désire retourner en Alaska afin de voir une dernière fois des endroits de sa jeunesse et elle s’imagine la mort non pas dans un hôpital froid, mais bien sur la route et selon ses propres volontés.
Cette scène est selon moi l’une des plus fortes du film, soutenue par la pièce Epilogue du compositeur classique minimaliste Olafur Arnalds, elle imagine simplement ses amis: «I don’t know. Maybe when i die, my friends will gather around the fire and toss a rock into the fire in memory of me».
Nomadland: Des images et une bande sonore splendides
Pour Nomadland, Chloé Zhao fait équipe avec Joshua James Richards afin d’assurer la direction photo. La manière dont les paysages des Badlands ont été filmés me rappelle les derniers films de l’américain Terrence Malick dont la direction photo était assurée par Emmanuel Lubezki, The Tree of Life (2011), Song to Song (2017), Knight of Cups (2015).
Par ailleurs, la bande sonore est composée par le compositeur italien Ludovico Einaudi, ce qui vient ajouter une forte mélancolie et une profondeur dramatique au film. De plus, Chloé Zhao rend hommage en toute humilité au corps de la femme, celui de Frances McDormand, qui une fois de plus est magnifique dans ce rôle. Selon moi, elle est l’une des plus grandes actrices de l’histoire du cinéma. Muse et épouse du réalisateur américain Joel Coen, elle offre, une fois de plus, dans Nomadland, une prestation à couper le souffle dans la lignée de Three Billboards Outside Ebbing, Missouri (2017) ainsi que Fargo (1996). En ce sens, je ne serais pas surpris qu’elle remporte une fois de plus l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Nomadland.
En somme, Nomadland est un excellent film que je conseille fortement. Il s’agit d’une excellente fresque d’un mode de vie marginalisé et d’une quête d’authenticité et de liberté. Le film est présentement disponible sur Disney+.
Suggestions de la semaine:
1- Three Billboards Outside Ebbing, Missouri, Martin McDonagh (2017)
2- Burn After Reading, Ethan Coen, Joel Coen (2008)
3- Lady Bird, Greta Gerwig (2017)
4- Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, Chantal Akerman (1976)
5- Cléo de 5 à 7, Agnès Varda (1962)