Un peu de cinéma : Persona, Ingmar Bergman (1966)

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Un peu de cinéma
Crédits : Sarah Gardner.

Considéré par de nombreux critiques cinématographiques comme étant l’un des plus grands films de tous les temps, Persona, œuvre expérimentale du réalisateur suédois Ingmar Bergman est tout simplement un chef-d’œuvre du 7e art. Réalisé en 1966, le long-métrage est toujours d’actualité en raison de ses thématiques et de la complexité de celui-ci. Œuvre marquante du cinéaste, mais aussi l’un des premiers films d’horreur psychologique, il fut à sa sortie, censuré et de nombreuses scènes furent coupées. Expérimental et sans compromis artistique, Persona fût rejeté par l’Académie des Oscars lors de la 39e édition, peut-être en raison de son aspect avant-gardiste et subversif.  

Réalisateurs de nombreux chefs-d’œuvre tels que Les fraises sauvages/Smultronstället (1957), Le septième sceau/Det sjunde inseglet (1957), À travers le miroir/Såsom i en spegel (1961), Cris et chuchotements/Viskningar och rop (1972) ainsi que Fanny et Alexandre/Fanny och Alexander (1982), Persona (1966) est une rupture artistique et idéologique au sein de sa filmographie.

Auteur d’un cinéma jugé sombre, aride et parfois pessimiste, il nous a offert de nombreux films existentialistes chrétiens en raison de son éducation marquée par un père pasteur. Cependant, avec Persona, Ingmar Bergman opte cette fois-ci pour un film profondément nihiliste.

Persona; un huis clos anxiogène

Alors qu’elle est au milieu d’une représentation théâtrale, l’actrice Elisabet Vogler (Liv Ullmann) devient soudainement muette. Sans raison apparente, l’actrice décide de ne plus émettre un son. À l’hôpital, les médecins ne remarquent aucune anomalie physique expliquant cette condition. Afin d’aider la jeune femme, le médecin responsable de celle-ci lui assigne une infirmière qui l’accompagnera dans une petite maison située sur une île isolée. En apparence, les deux femmes semblent bien s’entendre et rapidement, le silence de l’actrice devient à la fois source d’écoute et d’angoisse pour la jeune infirmière Alma (Bibi Andersson). Dès lors, une fusion psychologique se produit et la psyché des deux femmes s’entrecroise dans une descente entremêlée d’angoisse et de culpabilité jusqu’à un dénouement inattendu.

Persona; une œuvre profondément poétique

La scène introductive de Persona est probablement l’une des scènes les plus énigmatiques de l’histoire du cinéma. À l’aide d’un projecteur au carbone, le directeur de la photographie Sven Nykvist a été en mesure de créer une atmosphère inquiétante qui laisse le spectateur confus. Cette scène est une suite d’image quasi subliminale où l’on retrouve des photographies d’Adolf Hitler enfant, d’un pénis en érection, symbole de la moquerie de l’auteur à l’égard de la censure, d’une main clouée telle que présente dans la crucifixion du Christ, le sacrifice d’un agneau, un enfant poursuivit par la mort ainsi qu’une araignée, symbole du Dieu-monstre au sein de la filmographie de Bergman. La scène introductive se termine à la morgue où le corps d’une vieille dame qui ouvre les yeux nous démontre que la rêverie tourne au cauchemar et que la mort rôde autour de nous. Le cadavre d’enfant gisant sur une table se lève afin de regarder l’image du visage des deux protagonistes. Ici, l’enfant représente l’ensemble des angoisses de Bergman, celles qui remontent à l’enfance. Scène puissante et poétique, l’ensemble des images évoque le parcours mental de l’auteur telle une vision de ses pulsions et de ses fantasmes dans un élan de liberté absolue et sans contrainte pour l’époque.

Persona; le silence qui nous juge

Persona est un film qui peut être analysé sous plusieurs angles. Dans un premier temps, il s’agit d’un film sur le silence. Thématique centrale dans son œuvre, notamment dans sa trilogie du silence avec À travers le miroir/Såsom i en spegel(1961), Les communiants/ Nattvardsgästerna (1963) ainsi que Le silence/Tystnaden (1963). Ici, le silence n’est pas celui de Dieu, mais bien d’une actrice, qui devant l’hypocrisie et la tragédie humaine décide de rester muette. D’un point de vue philosophique, cette attitude face à autrui nous rappel la vision du regard de Jean-Paul Sartre, dans L’être et le néant(1943) où il est question du regard de l’autre qui nous objective. En ce sens, à quoi bon parler si autrui nous juge constamment et que notre moi véridique est inatteignable pour les autres, ah oui :«l’enfer c’est les autres», disait Sartre à la fin de huis clos.

De plus, ce silence représente la vision nihiliste et absurde de l’auteur face à l’existence humaine. Conscient de l’œuvre d’Albert Camus, puisqu’il a déjà produit Caligula au Théâtre en 1946, Persona est une œuvre absurde au sens camusien. À quoi bon parler, vivre et continuer si nous sommes tous condamnés à mourir de manière absurde. Cette vision d’un absurde est évoquée dans le film lorsque l’actrice regarde une photographie qui évoque l’holocauste et un passage à la télévision concernant la guerre au Viet Nam. Cependant, la révolte camusienne se produit non pas chez l’actrice, mais bien chez l’infirmière lors du dénouement.

Durant leur séjour sur l’île, la jeune infirmière se confie à l’actrice sur sa vie, ses amours, le viol qu’elle a vécu et l’avortement qui s’en est suivi. Le silence de l’actrice est perçu par l’infirmière comme étant une source d’écoute et de compassion qu’en en réalité, il s’agit d’un silence qui objective et qui juge. Lorsque celle-ci se rend compte de l’hypocrisie de l’actrice, les rôles s’inversent et on assiste à la dégénérescence de la relation des deux femmes dans une scène finale où l’on assiste à une sorte de vampirisation, puisque par son silence, l’actrice a peu à peu dévoré la personnalité de l’infirmière.

Persona; l’esthétisme des grands maîtres

Filmé à Stockholm ainsi que sur l’île Fårö en Suède, dans un noir et blanc sublime, Persona est l’un des films les plus audacieux d’Ingmar Bergman. Reprenant son style habituel, mais avec une grande maîtrise, l’entremêlement des visages de Bibi Andersson et de Liv Ullmann est d’une grande beauté. La présence fantomatique de Liv Ullmann dans certaines scènes permet à Bergman de mettre en place une dynamique d’oppression, mais le résultat est grandement possible en raison du génie de Sven Nykvist à la direction photographique. De plus, Persona est une œuvre qui a marqué bons nombres de réalisateurs, puisque la scène de la pellicule qui déraille sous les visages entremêlés des actrices nous rappelle le Mulholland Drive (2001) de David Lynch ou encore Fight Club (1999) de David Fincher ou des images quasi subliminales sont intégrées durant le film dont un pénis en érection.

En somme, Persona est un film à voir et revoir absolument. Sa complexité et son esthétisme fait de lui, l’un des films les plus intéressants d’Ingmar Bergman, mais aussi un des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma! https://ouvoir.ca/1966/persona

Suggestions de la semaine :

1- The Batman, Matt Reeves (2021) https://ouvoir.ca/2021/the-batman

2- Jackass Forever, Jeff Tremaine (2022) https://ouvoir.ca/2022/jackass-forever

3- Le cri du rhinocéros, Marc Labrèche (2018)

4- Frayeurs (Paura nella Città dei morti viventi), Lucio Fulci (1980) https://ouvoir.ca/1980/frayeurs

5- Ceci est mon sang (Bakjwi), Park Chan-wook (2009) https://ouvoir.ca/2009/ceci-est-mon-sang

 

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