Un peu de cinéma : Répertoire des villes disparues, Denis Côté (2019)

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Un peu de cinéma
crédit: Sarah Gardner

Présenté en première mondiale le 11 février 2019 lors du Festival international du film de Berlin, le long-métrage de Denis Côté, Répertoire des villes disparues (2019) est une excellente réflexion concernant le destin parfois tragique de nos régions québécoises. Pour ce onzième film, Denis Côté nous offre une adaptation libre du recueil du même titre de Laurence Olivier (2015). Réalisateur de nombreux longs-métrages dont Curling (2010), Vic+Flo ont vu un ours (2013) ainsi qu’Hygiène sociale (2021), il est sans aucun doute l’une des figures marquantes du cinéma indépendant québécois. Profondément marginal et expérimental, le cinéma que nous offre Denis Côté va bien au-delà des standards du cinéma québécois habituel nous rappelant par moment le cinéma des Québécois Robin Aubert, À l’origine d’un cri (2011) ainsi que Stéphane Lafleur, Continental, un film sans fusil (2007).

Dans Répertoire des villes disparues, Denis Côté nous offre une histoire mélangeant le drame fantastique et l’horreur. À la suite du suicide d’un jeune homme en raison d’un accident de voiture volontaire, la vie des quelques 215 habitants de la petite communauté de Sainte Irénée-les-Neiges va se voir ébranlée alors qu’au même moment, des étrangers font leur apparition dans le village endeuillé. Afin de bien rendre compte des différences émotionnelles des habitants du village face à la mort du jeune homme, métaphore à peine cachée de la mort de nos régions, le réalisateur a opté pour un récit de type choral. C’est pourquoi, malgré un scénario très simple, Denis Côté nous offre un vaste éventail de personnages marqués par des prestations d’acteurs et d’actrices à la fois sobre et d’une grande justesse.

Répertoire des villes disparues : La disparition et la mort de nos régions québécoises

Bien que le scénario demeure simple, le sous-texte du film, lui, n’en demeure pas moins ambitieux. La mort du jeune homme par suicide permet à Denis Côté d’aborder la mort de nos régions québécoises et de l’exode des jeunes vers les grands centres urbains. Le suicide du jeune homme de 21 ans représente ce mal-être que certains jeunes ressentent face au sentiment d’emprisonnement vécu dans les petits villages où l’on ne saurait pas trouver sa place.

Cependant, Denis Côté ne nous offre pas simplement une vision pessimiste des régions. Car son film est à la fois critique, mais aussi une lettre d’amour à celles-ci et à ce besoin de revitalisation de la culture loin des grands centres urbains. Bien que le film se présente comme étant un film d’horreur, rien dans celui-ci ne rappelle un film d’horreur standard. L’horreur est manifestée par l’apparition des morts ayant autrefois habité le village. La présence des morts dans le village permet à Denis Côté d’aborder la question de la mémoire, puisque ceux-ci ne sont pas des menaces, mais bien la manifestation présente du souvenir. Les morts ne sont donc pas des figures à craindre, mais bien des êtres de notre passé qui nous urgent à repenser le présent.

Répertoire des villes disparues : La quête d’identité et la peur de l’autre

À travers ce film, Denis Côté nous offre notamment une réflexion concernant notre propre identité et les différentes peurs que nous éprouvons face à la figure de l’étranger. La notion d’identité est abordée sous l’angle de sa perte en raison de la mort des petits villages des régions. Des personnages, dont celui de la mairesse du village, magnifiquement interprétée par Diane Lavallée, représentent ce rempart contre la perte de l’identité régionale. Cependant, elle représente également le caractère xénophobe souvent associé aux régions. En ce sens, le film aborde la question du choc culturel qu’engendre l’acceptation ou le refus de la présence de l’autre.

Ici, l’autre est représenté à la fois par les morts qui se manifestent dans le village, mais aussi par la présence d’une femme musulmane provenant de Montréal. Loin d’être purement pessimiste, le film de Denis Côté nous démontre la nécessité d’un dialogue entre les régions et les centres urbains, mais aussi entre les Québécois en quête d’identité et les personnes immigrantes au Québec.

Répertoire des villes disparues : La construction d’un film indépendant québécois

En plus de susciter la réflexion, le film va grandement plaire aux amateurs de cinéma. En effet, celui-ci a été filmé en 16mm ce qui donne un aspect grisâtre et brut au film. Plusieurs réalisateurs indépendants vont utiliser le 16mm. C’est notamment le cas de Wes Anderson pour le film Moonrise Kingdom (2012) et de Daren Aronofsky pour le film Pi (1998), pour ne nommer que ceux-ci. Par ailleurs, lorsqu’il est question des aspects étranges présents dans le film, on y constate une certaine touche qui rappelle le cinéma de David Lynch, dont Inland Empire (2006).

En outre, ce qui m’a principalement marqué dans le film, c’est sa quasi-absence de musique et de trame sonore, à l’exception de quelques sons stridents d’instruments à cordes. Peu de films québécois vont être réalisés sans bande sonore, c’est notamment le cas du film de Podz, Les sept jours du talion (2010). Selon moi, l’absence de bande sonore est un atout du film, puisque les bruits ambiants permettent parfaitement de rendre compte de la commune étrangeté des évènements.

Répertoire des villes disparues est un film à voir absolument. Il s’agit d’un magnifique film expérimental qui porte un regard critique et actuel sur la réalité des régions du Québec. Je vous invite donc à découvrir le cinéma expérimental et marginal de Denis Côté sans attendre.

Suggestions de la semaine

1- Continental, un film sans fusil, Stéphane Lafleur (2007)

2- Nostalgia, Andreï Tarkovski (1983)

3- Sátántangó, Béla Tarr (1994)

4- The American Friend, Wim Wenders (1977)

5- Camion, Rafaël Ouellet (2012)

6- Les Démons, Philippe Lesage (2015)

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