Un peu d’histoire La nuit montréalaise (Partie 3) — Se divertir la nuit

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Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante
Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante

Dans cette dernière chronique de la session, j’aimerais conclure avec vous la série d’articles traitant de la thématique de l’histoire de la nuit montréalaise, après «Éclairer l’obscurité» et «Réguler le nocturne». En ce sens, j’aimerais aborder l’art de se divertir la nuit dans la première moitié du XIXe siècle.

Les loisirs et les divertissements publics présents dans la première moitié du XIXe siècle s’adressent majoritairement à une classe élitaire marquée par la culture britannique[1]. Le système d’éclairage public de même que la présence d’individus patrouillant dans les rues de la ville vont engendrer une augmentation du sentiment de sécurité de la population. Cette nouvelle sécurité est un facteur essentiel qui a permis l’avènement d’une forme de commercialisation des loisirs et des divertissements de soirées.

On constate une volonté de la part de l’élite montréalaise de se doter d’endroits spécifiques pour se divertir. Certains membres de l’élite montréalaise vont favoriser la construction de luxueux hôtels tels que la Mansion House Hotel, le Masonic Hall Hotel ainsi que la construction de nombreux théâtres, dont le Théâtre de Montréal et le Théâtre Royal. Ces nombreux établissements permettent d’accueillir un grand nombre de spectateurs et sont en mesure d’offrir à la population divers types de loisirs très populaires à l’époque, tels des pièces de théâtre, des bals, des concerts et des spectacles de variétés.

Les loisirs et les divertissements publics présents dans la première moitié du XIXe siècle s’adressent majoritairement à une classe élitaire marquée par la culture britannique.

Les bals et soirées dansantes

À l’époque, les bals et les soirées dansantes sont organisés dans les hôtels, les cafés, ainsi que certaines tavernes de la ville. L’analyse des journaux ainsi que des publicités des cafés et des hôtels permet de retracer l’évolution des commodités au sein de ces endroits publics[2].

Principalement bourgeoise, les soirées de bals débutent généralement tôt en soirée, vers 18h30, et se poursuivent tard dans la nuit[3]. Plusieurs comptes rendus issus de journaux décrivent de nombreuses soirées au Mansion-House Hotel. Lors d’une soirée de février 1823 en l’honneur de l’anniversaire de Miss Lilly Harry, plusieurs membres de l’élite montréalaise se réunissent afin de se divertir lors d’un souper accompagné de plusieurs danses: «About seven the ball room looked like the sky on a starry night and what with the light and what with the ladies, the dazzling sparklers formed a brillant galaxy. At twelve, the company were summoned to partake of a supper upstairs which, it must be allowed, was the best ever witnessed on such occasion. Dancing was kept up all the following morning»[4].

Contrairement aux différents loisirs et divertissements accessibles à toute la population, les bals et les soirées dansantes de l’élite sont sujets à une moindre réglementation. La bienséance est de mise et plusieurs déplorent l’ivresse de certains danseurs[5]. Malgré la présence de codes de conduite favorisant l’encadrement des mœurs, les jeunes gens vont consommer des boissons enivrantes telles que des boissons à base de gin[6]. Cependant, il n’est pas rare qu’une soirée de bal débute par la consommation de thé et de café dans l’une des salons de l’hôtel[7].

Lors d’un bal, la bienséance est de mise et plusieurs déplorent l’ivresse de certains danseurs.

Une soirée au théâtre

En 1808, le principal théâtre montréalais est situé sur la rue St-Nicholas. Appartenant à M. Prigmore, ce théâtre offre aux Montréalais.es d’origine anglophone des représentations théâtrales de toutes sortes. Malgré la présence de salles de théâtre, il n’existe pas de réelle troupe permanente montréalaise. Ce sont donc les membres de l’élite à titre individuel qui vont financer la tenue de pièces de théâtre en engageant des troupes provenant de l’étranger.

Le théâtre de la rue St-Nicholas, ainsi que le Théâtre Royal par la suite offrent un horaire stable aux amateur.ice.s de théâtre. Durant la saison hivernale, la majorité des représentations débutent vers 18h30, tandis que durant la période estivale, celles-ci débutent vers 19h30. Généralement, le théâtre ainsi que les spectacles de variétés se termine entre 22 heures et 23 heures, afin de faciliter le retour à la maison en toute sécurité[8]. Le théâtre est accessible à toute la population. Le coût d’un billet varie entre cinq shillings et un shilling[9]. Malgré son caractère public, le théâtre va se codifier afin de permettre une meilleure régulation des mœurs, notamment concernant le bruit[10], l’ivresse[11] et les comportements de certain.e.s qui nuisent à la vision des spectateur.ice.s dans les loges.

En vertu des lois en vigueur, les loisirs liés aux tavernes devaient se terminer à l’heure où les loisirs bourgeois débutent.

Une soirée à la taverne

Contrairement aux bals, aux soirées dansantes ainsi qu’aux représentations théâtrales qui, au cours du XIXe siècle, vont se codifier afin de favoriser un assainissement des mœurs de la population, les loisirs et les divertissements présents dans les tavernes de la ville vont être sujets à une réglementation beaucoup plus stricte. On constate une forte volonté de la part du pouvoir en place de mieux réguler et encadrer ces espaces de divertissements liés à la consommation d’alcool. Au XVIIIe siècle, les établissements ferment généralement en fonction du cycle de la journée[12]. En 1829, la vente et la consommation d’alcool sont restreintes à certains individus dès 19 heures en hiver et 21 heures en été[13]. Tandis qu’en 1843, il est interdit de vendre et de consommer de l’alcool dans ces lieux après 21 heures ou 22 heures[14]. En somme, en vertu des lois en vigueur, les loisirs liés aux tavernes devaient se terminer à l’heure où les loisirs bourgeois débutent.

En conclusion, la vie culturelle montréalaise, mais aussi le temps social, se modifient au cours de la première moitié du XIXe siècle. La culture du divertissement se professionnalise et Montréal se dote d’établissements spécialisés dans la pratique de certains loisirs et divertissements. La mise en place de modes de régulations sociales ainsi que d’un système d’éclairage public à Montréal a permis une colonisation urbaine de la nuit. La colonisation des espaces publics et semi-privés a permis à la population montréalaise de prolonger dans la nuit leurs loisirs et leurs divertissements.


[1] Sylvie DUFRESNE, « Attraction, curiosité, carnavals d’hiver, expositions agricoles et industrielles : le loisir public à Montréal au XIXe siècle », dans Jean-Rémi Brault (dir.), Montréal au XIXe siècle, Des gens, des idées, des arts, une ville, Montréal, LÉMAC, 1990, p. 234.

[2] Canadian Courant/Montreal Advertiser, 16 december 1820.

[3] The Scribbler, 20 février 1823, p. 116-117.

[4] The Scribbler, 20 février 1823, p. 116-117.

[5] The Scribbler, 14 mars 1822, p. 305-306.

[6] John MACTAGGART, Three Years in Canada: An Account of the Actual State of the Country in 1826-7-8. Comprehending Its Resources, Productions, Improvements, and Capabilities; and Including Sketches of the State of Society, Advice to Emigrants, Vol.1., London, Printed by Henry Colburn, p. 38.

[7] Canadian Courant/Montreal Advertiser, 4 décembre 1824.

[8] Canadian Courant/Montreal Advertiser, 16 juillet 1810.

[9] Canadian Courant/Montreal Advertiser 3 avril 1819.  Montreal Herald, 22 novembre 1817. Montreal Herald, 29 octobre 1823.

[10] Montreal Herald, 3 avril 1819.

[11] The Scribbler, 11 novembre 1824, p. 86. Canadian Courant/Montreal Advertiser, 1 septembre 1824.

[12] Yves BRIAND, Auberges et cabarets de Montréal (1680-1759) : Lieux de sociabilité, Mémoire (M.A.), Université Laval, 1999, p.15.

[13] Statuts provinciaux du Bas-Canada, George IV, chap.7, 1829, p.51.

[14] Les actes et ordonnances révisés du Bas-Canada, Montréal, Imprimé par S.Derbishire et G.Desbarats, 1845, p. 168.

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