Un peu d’histoire: Une histoire sociale des odeurs

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Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante
Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante

Qu’est-ce qui est flatteur pour notre odorat, qu’est-ce qui sent bon? La perception sociale des odeurs se développe en fonction du rapport que les individus entretiennent avec celles-ci. En d’autres termes, l’odorat est une construction sociale. Dans cette chronique, j’aimerais aborder avec vous l’histoire de l’odorat, mais plus particulièrement le renouveau hygiéniste et olfactif du Siècle des Lumières.

Un renouveau olfactif et scientifique

Au XVIIIe  siècle, le renouveau scientifique est marqué par une préoccupation grandissante à l’égard de «l’air commun». Dans cette optique, la pensée «aériste» va se développer et esquisser les définitions du sain et du malsain, mais aussi imposer les normes de la salubrité et de l’insalubrité. L’air n’est plus perçu comme un tout, mais bien comme un support inerte pour un ensemble de particules qui lui sont étrangères.

Pour l’historien Alain Corbin, les multiples préoccupations provenant des miasmes vont permettre à l’odorat de devenir le principal instrument d’observation de l’air. «Le terme de miasme, décalque du latin miasma, désigne à la fois le mauvais air et la maladie qu’il porte». En ce sens, il s’agit d’une rationalisation de l’usage de l’odorat dans l’espace public, car il permet de reconnaître les odeurs de certaines maladies et épidémies. Par cette volonté de s’éloigner et d’enrayer les odeurs putrides, on assiste à une construction sociale de l’odorat.

On assiste au XVIIIe siècle, à une intolérance marquée vis-à-vis des odeurs malsaines, mais plus particulièrement celles qu’on nomme excrémentielles, jugées porteuses de maux. En raison de cette intolérance, on voit au cours de ce siècle une volonté de redéfinir l’espace urbain, afin de s’éloigner le plus possible des odeurs nauséabondes engendrées par les excréments et la putréfaction.

Plusieurs exemples peuvent nous aider à comprendre ce phénomène: le déplacement des cimetières vers l’extérieur des villes, la présence d’ordures dans les rues, l’insalubrité des hôpitaux et des prisons. En ce sens, l’intolérance face aux odeurs dites malsaines entraîne une volonté de l’élite de désodoriser les villes.

Des odeurs et des individus

Au cours du XVIIIe siècle, on voit apparaître une volonté de catégoriser les odeurs corporelles, puisque cette construction sociale des odeurs est issue d’une rationalisation de la hiérarchie sociale. En ce sens, la variation olfactive qu’il existe entre certaines personnes dépend désormais d’une multitude de facteurs tels que le climat, l’alimentation, les humeurs, les passions, etc., ce qui a pour effet de catégoriser la population et par le fait même de justifier anthropologiquement une hiérarchie sociale. L’homme «blanc» issu de l’élite désire donc se distancier de la bête, du côté fortement animalisé des classes inférieures. Par conséquent, certaines odeurs telles que le musc ainsi que les menstrues, qui, avant la moitié du XVIIIe siècle, étaient des sources de désir sexuel, vont être mises à l’écart au profit de la désodorisation du corps social.

Une nouvelle sensibilité olfactive

En raison du progrès marqué de l’hygiène corporelle au sein de l’élite, on constate une méfiance à l’égard de certaines odeurs jugées désormais offusquantes. Autrefois utilisé, le musc issu de glandes animales était l’une des composantes principales des parfums. Cependant, l’élite désirant s’éloigner des animaux va, pour sa part, favoriser à partir de 1750 l’utilisation d’une toilette plus légère dotée d’odeurs plus subtiles et délicates. C’est dans ce contexte de construction sociale des odeurs que l’utilisation de fragrances florales va se répandre chez l’élite. Les gens vont parfumer leurs éléments de toilettes, les gants, les mouchoirs, etc. En ce sens, le cabinet de toilette va devenir le temple par excellence de la séduction.

À cette époque, on voit apparaître une valorisation de la nature. Désormais, le discours hygiéniste valorise notamment la prise de bains, mais aussi la prise de bains «aériens». Le riche doit être en mesure de jouir de l’air pur. Dans un contexte, où la nouvelle mode de l’élite est à la marche, la présence de nombreux corps, de boue et de putréfaction dans la ville n’est pas en mesure de répondre à cette demande. Par conséquent, les médecins et les hygiénistes de l’époque vont valoriser la marche en montagne ou dans les jardins. La nature devient donc l’antithèse des lieux putrides.

En conclusion, le XVIIIe siècle est marqué par un renouveau hygiénique. Il s’est développé une intolérance envers les odeurs considérées malsaines. Cette remise en question de certaines odeurs a pour effet de redéfinir l’hygiène corporelle, mais aussi le rapport qu’entretiennent les individus à la ville. En ce sens, l’élite va valoriser une désodorisation tant au niveau de la ville qu’au niveau du corps des individus.


Bibliographie

CORBIN, Alain. Le miasme et la jonquille soit Révolution perceptive ou l’odeur suspecte. Flammarion, Paris, 2008, 429 pages.

FOURNIER, Patrick. «Zones humides et «aérisme» à l’époque moderne». Zones humides et santé. Actes de la journée d’étude 2008 du Groupe d’Histoire des Zones Humides, Paris, GHZH, 2010, p.9-23.

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