Par Sébastien Dulude, chroniqueur
Dans une salle de conférence, le directeur général d’un Festival de musique populaire de région, son adjoint et sa coordonnatrice des communications rencontrent un concepteur publicitaire pour discuter de l’image de communications du prochain festival.
Le dg a environ 50 ans, parle très fort, avec une voix éraillée. Il a exactement l’apparence de Shrek et tient dans chaque main un gros cigare et un scotch, qu’il agite lorsqu’il parle. L’adjoint est un jeune premier, intelligent, posé. La coordonnatrice aime la musique depuis le secondaire et son artiste préférée est Cœur de pirate.
Le publiciste – Votre clientèle cible, vous la décririez comment?
L’adjoint – Elle est variée, on rejoint…
Le dg [l’interrompt] – Nos clients, c’est les amateurs de musique [il prononce meusique], ceux qui connaissent ça, ceux qui ont inventé ça, le monde de mon âge.
Le publiciste – Donc, des babys boomers?
Le dg – Appelle ça comme tu voudras, nos clients, c’est ceux qui connaissent ça, comprends-tu? Ils connaissent ça la musique, ils l’ont dans l’sang, pareil comme moi, tsé on a fait la révolution avec la musique dans les années 70!
Le publiciste – C’est intéressant, ça, l’idée de révolution. On pourrait trouver un symbole qui représente une certaine révolution, ou un personnage peut-être?
La coordonnatrice [timidement] – Comme Joannie Rochette?
Le dg – T’en dis donc ben des niaiseries! La révolution, esti, le FLQ, les Black Planters, Che Guevara!
L’adjoint – Ouh, faudrait pas aller trop loin, quand même, le Che…
Le dg – Tu l’aimes pas mon idée? Che Guevara, ça s’rait parfait! Imagine ça, avec sa face partout dans ville, on pourrait faire une grosse affaire, un gros show de musique espagnole! [Il hurle] Une comédie musicale!!! Avec Sylvain Cossette, pis Claude Dubois qui f’rait Castro! pis des danseuses avec des plumes, calvâse, ça s’rait beau!
Le publiciste – Vous croyez? Le Che, c’est une image qui a été pas mal utilisée déjà.
Le dg bougonne.
L’adjoint – À notre dernière réunion, on s’était dit qu’on voulait une image branchée, très Internet 2.0, quelque chose qui…
Le dg – Ah, toi pis ton maudit Facebook. J’connais rien là-d’dans! C’est bourré de virus ces affaires-là, check ben ça qu’y en aura pas un smatt un moment donné qui va essayer de toute nous voler par ordinateur…
Le publiciste – Le viral est vraiment tendance ces jours-ci. Il faut exploiter ça. Les hackers sont en quelque sorte les nouveaux Robin des Bois. Il y a quelque chose là…
Le dg – OK d’abord, on va en partir un virus, mais un gros!
L’adjoint – C’est pas tout à fait ça, il s’agit de…
Le dg – Laisse-le parler un peu! [au publiciste : ] Tu disais, Robin des Bois? On est pas pour mettre Kevin Costner sur nos posters toujours? Awèye d’autres idées, t’es payé à l’heure…
Le publiciste – Il y a un personnage que j’ai en tête… Je l’ai proposé pour une pub à la Banque nationale, mais ils l’ont refusé. Trop peureux. Mais vous, votre festival, vous êtes à l’avant-garde, vous êtes des visionnaires…
Tout le monde savoure un petit frisson à son égo.
Le publiciste – Vous avez vu le film V pour Vendetta?
La coordonnatrice – Ah oui, la reine Amidala était tellement belle là-dedans, même les cheveux rasés.
Le dg – Où tu t’en vas avec ça?
Le publiciste – Le personnage masqué est intéressant, un genre de gentleman terroriste. Son image a été reprise récemment par le groupe de cyber-activistes Anonymous. Le symbole est très fort, très tendance. Audacieux, jeune.
L’adjoint – Mais quel lien avec la musique?
Le publiciste – On s’en moque. L’idée est de récupérer l’image pour s’associer à son côté cool. Au pire, on mettra le personnage debout sur un disque.
La coordonnatrice – Il est pas un peu méchant le personnage de V?
Le publiciste – On va l’arranger. On va graffiter toute la ville avec des F pour Festival, en peinture rose. Et on va changer ses bâtons de dynamite pour des pétards multicolores, comme les couleurs de vos scènes.
L’adjoint – L’image ne me semble pas cohérente du tout avec notre festival. Est-ce que notre clientèle ne se sentira pas bernée par le symbole? Je veux dire, Anonymous, ce sont quand même des terroristes qui piratent le gouvernement, les grosses compagnies…
Le dg – Pareils comme nous! On est des pirates!
L’adjoint [scandalisé] – Nous ne sommes surtout pas des pirates! On peut pas…
Le dg – Tais-toi! On est des pirates modernes, on vogue sur les nouveaux styles, on est explosifs, on est underground, tabarnac! C’t’en plein nous autres, ça!
Le publiciste [ravi] – Et le risque de choquer est minime, il est probable que la moitié des gens ne le reconnaitront tout simplement pas. Pas grave du tout, tant qu’il a l’air sympa.
Le dg – Au pire, ils penseront qu’on a ressorti notre personnage de
Alex Hentrix! 10 ans avec la même comédie musicale, c’est clair qu’on
a prouvé qu’on était en avance sur not’ temps!
Rideau.