
On me dit de plus en plus : «Dulude, t’es dur. C’est l’fun tes chroniques, mais t’es dur.» Dur? Comme dans difficile? Difficile à suivre, difficile à lire? J’espère que non. Difficile dans mes goûts peut-être? Sans doute, je suis sélectif. Il faut dire qu’on a le choix! Il faut savoir choisir. Ou alors, dur comme dans pas mou, pas doux?
Laissez-moi vous parler un peu d’où j’arrive, culturellement. À 15-16 ans, j’ai eu à écrire un poème pour un cours de français. Mon réflexe naturel a été de traduire une toune de Metallica (Dyers Eve). J’ai pris soin de la traduire en conservant les rimes et son rythme. J’ai obtenu une excellente note pour ce plagiat. Ce qu’une douce tape dans le dos ne ferait pas, hein? Il ne m’en fallait pas plus pour commencer à écrire mes propres poèmes.
Puis j’ai découvert Baudelaire et Nelligan, comme tout jeune poète. J’étais lancé : poète maudit je me sentais, le spleen m’accablait et ma poésie était noire comme les eaux du Styx. Ces poèmes, je les imprimais et les faisais lire à mes bons amis. Comme j’étais le seul à écrire, je n’avais que des encouragements, des petites tapes polies dans le dos.
Et ensuite? Eh bien, la vie s’est chargée de me donner une leçon d’humilité. J’ai mis la main, par hasard, sur le livre Porter plainte au criminel d’un certain Denis Vanier, poète québécois (1949-2000). Je suis tombé par terre. Alors que je croyais que ma poésie frappait fort, en jetait par le sombre pouvoir de mes mots soigneusement choisis pour tuer («je suis une mouche morte dans un bocal, qui combat l’ataraxique ataxie», ahah), manifestement, Vanier se torchait le cul chaque matin avec mes pauvres vers de jeune Werther pubère. J’ai pris la leçon comme une solide gifle : il ne suffit pas de vouloir faire de l’effet, il faut en faire. Comme dans construire, créer, dans l’effort. Pas dans l’éther de ma pseudo-déprime d’adolescence. Ça, ça a été dur, pas mal plus dur qu’une tape dans l’dos.
Même chose pour mes chansons que je composais à la guitare. Ça aussi, j’étais le seul à le faire. Mon frère, qui avait un petit studio, m’a enregistré. Mes tounes, disait-il, pouvaient rappeler Daniel Boucher. J’étais encouragé. Puis, je ne sais de quelle manière exactement, mais un jour, c’en était fini pour moi d’Harmonium, de Daniel Boucher, des Colocs. Je n’entendais plus rien qui me parlait dans cette musique. Et ces rimes partout, pourquoi toutes ces rimes? Tout ça me semblait tellement prévisible et ennuyeux.
J’imagine que ça s’appelle prendre de la maturité. Je ne parle pas simplement de vieillir, mais de développer cette capacité de pouvoir lire et accepter la réalité. Comme dans : «gars, tes tounes sont archi-banales, même si tes amis les aiment.» Comme dans : ta poésie n’a aucune tripe. Ça, c’est dur. Ensuite, il faut se battre contre soi-même, il faut en faire une véritable obsession, pour continuer à écrire. Il faut jeter 90% de ce qu’on écrit. Il faut crisser aux vidanges cette idée ridicule qu’on a du talent. (On peut avoir de la facilité, certes. C’est d’ailleurs souvent le problème, cette facilité.)
Maintenant, je gratte mes petites tounes à la maison pour mon chat. Elles me font du bien. C’est parfait comme ça.
Et je continue à me battre pour sortir quelques bons poèmes par mois. Je commence à peine à entrevoir ce que j’ai à dire en poésie. Et je continue de jeter massivement.
Je suis dur? Peut-être. L’ébéniste aussi est dur : il connaît son métier. Il dira pas que c’est drette si c’est pas drette. Le pilote d’avion non plus se conte pas de bullshit à l’atterrissage.
Ce qui fait que ta toune, là, celle pour laquelle tu tournes un p’tit clip et que tu voudrais qu’on l’aime et la partage sur Facebook, elle est-tu drette? La ferais-tu jouer à Richard Desjardins? Veux-tu une p’tite tape polie dans l’dos de sa part ou tu veux qu’il te dise : «j’ai des frissons quand je t’entends»? Si tu penses que tu as quelque chose à dire en chanson, dépasse-toi. Si ta toune sonne bien, est accrocheuse, sympathique : maudis-la aux vidanges. C’est pas assez. T’es le 800 000e auteur-compositeur de l’histoire du Québec, ajoute pas une banalité de plus dans le paysage, veux-tu? Sois dur avec toi-même.
Autre exemple, plus concret. Toi et tes amis, vous êtes chanteurs. Vous avez des voix superbes. Vous êtes jeunes, beaux et bien élevés. Vous vous louez un local de pratique. Vous écrivez, vous pratiquez. C’est fantastique. Vous faites du jazz vocal, du barbershop. Pas de problème.
Voulez-bien m’expliquer comment, dans des conditions aussi extraordinairement parfaites pour la création artistique, comment vous arrivez, 4 gars dans la vingtaine – des chums qui doivent déconner, boire des bières, parler des filles (ou des gars), se sacrer des volées à Fight Night Champion –, 4 gars qui trippent sur la musique et qui peuvent faire ce qu’ils veulent avec leurs voix, comment, maudite marde, vous pouvez nous arriver avec un vidéoclip où on vous entend chanter un medley de tounes de One Direction, Fun., Mika et je ne sais quelle autre merde navrante, où on vous voit faire des anges dans la neige et faire semblant de vous amuser comme si vous étiez dans fucking Épopée rock? Comment? Je n’arrive pas à m’expliquer une telle chose.
En tout cas, profite bien des tapes dans l’dos tant qu’il y en a. Profite de ce vaste auditoire niaiseux et endormi par La Voix, la Star et la prochaine saveur du mois. Parce que je peux te prédire une chose : ça va être dur, très dur quand tu vas voir ton vidéo à Total Crap ou Dollaraclip dans 25 ans. Pas mal plus dur que moi.