Va voir ailleurs (j’y suis) : J’attendrai

1
Publicité

Il semble qu’il ne soit pas simple pour un homme de pouvoir affirmer qu’il est féministe. Ni simple, ni souhaitable. En effet, tout récemment en ces pages, je me suis fait dire par Marie-Andrée Gauthier, qui tient une chronique féministe au Zone Campus, qu’il valait mieux que les hommes ne s’illusionnent pas sur leurs capacités à adhérer à la pensée féministe, voire que leur présence au sein de l’action féministe pouvait être interprétée comme une menace.

La chronique de ma collègue a mis le feu à des poudres que je n’aurais pas soupçonnées. Deux lettres ouvertes adressées à Mme Gauthier sont publiées dans cette édition et j’ai reçu de nombreux commentaires de la part de lecteurs, hommes et femmes, qui réagissaient violemment au fameux article. Je suis fondamentalement emballé par ces effusions d’idées.

Ainsi, j’ai affirmé me considérer plus féministe que 95% des femmes que je connais. Il m’apparaît très intéressant de noter que ces propos ne m’ont attiré aucun commentaire de la part de femmes qui auraient pu être choquées de ce pourcentage un brin arrogant. Que je considère que seulement 5% des femmes soient plus féministes que moi, un homme, ça n’a choqué personne. Mais qu’une chroniqueuse féministe écrive que je n’ai pas le droit, en tant qu’homme, de prétendre être féministe aura fait réagir. Fascinant.

Pour cela – et pour d’autres raisons déjà –, la chronique de Marie-Andrée mérite toute mon admiration. Quel cran cela prend de se positionner à l’extrémité d’un spectre idéologique de nos jours! Quelle audace de s’exposer à la critique qui dénoncera le sectarisme de sa pensée, son manichéisme, son manque radical de nuances. Moi, je dis chapeau! On a besoin de ces balises idéologiques, que l’on est libre de rejoindre ou non. La diversité, en toutes choses, est fondée sur cette largeur du spectre des possibles.

Je respecte le point de vue de Marie-Andrée, qui me fait effectivement réfléchir à l’opportunité de me déclarer féministe. Je sais pertinemment que le combat féministe n’est pas terminé, malgré l’apparente égalité de nos rapports sociaux actuels. Le patriarcat, en tant que manifestations plus ou moins évidentes de la domination masculine dans une multitude de schémas d’organisation sociale, est fondé sur une tradition quarante fois millénaire, où l’homme a régné en maître absolu sur l’échiquier social en raison de ses attributs biologiques (essentiellement, sa force physique et le fait qu’il ne soit jamais ralenti physiquement par des grossesses et l’allaitement). Ce n’est pas un demi-siècle de féminisme qui aura enrayé cette tendance lourde. Dès lors, je comprends dans ce contexte que la sympathie d’un homme pour le féminisme puisse être interprétée comme un leurre pour venir calmer le jeu, mettre un couvercle sur une marmite qui n’aurait pas fini de bouillir.

Mais voici qu’il me semble que la condition féminine a subi un recul important depuis un certain nombre d’années, recul qui me préoccupe. Dans cette époque de la toute-puissance de l’image, je trouve navrant d’y voir des femmes systématiquement présentées comme des objets de convoitise. Qui plus est, ces stratégies sont le fruit de fabricants d’images, lesquels sont, en 2012, des équipes de spécialistes, hommes autant que femmes. D’un côté, les femmes accèdent de plus en plus aux échelons décisionnels élevés de notre société, de l’autre, elles adhèrent bêtement aux modèles commerciaux qui ont érigé le désir sexuel comme principal moteur de consommation.

Sans parler de la porno où l’actrice du 21e siècle célèbre son double triomphe hédoniste (elle fait de l’argent en faisant bander) dans une banalisation généralisée des conséquences d’une pornographie hyper-accessible. Sans parler non plus des nightclubs qui attirent la clientèle – encore là, hommes et femmes – en faisant miroiter la possibilité de s’y dénicher aisément un trip à trois. Sans parler des publicités dans lesquelles une paire de seins te sert un verre de bière fraîche à faire saliver. Sans parler de nos enfants qui imitent tout ça. Je pense que je n’ai pas besoin d’écrire un chapitre pour vous convaincre que notre époque est en pleine phase génitale et que l’heure n’est pas aussi glorieuse qu’Occupation Double voudrait nous en persuader.

Ceci dit, je suis un homme hétérosexuel et je ne reste pas de marbre devant la beauté du corps féminin. Mais je suis passablement fatigué de l’image figée et plastique de la femme qu’on me sert du matin au soir, et pas impressionné par l’inaction de la majorité féminine face à cette situation. Les femmes ont gagné d’importantes batailles sociales, mais je désespère d’en voir les effets à long terme. J’aurais voulu que le féminisme change radicalement la donne. Qu’il rende la société meilleure en détrônant les brutes, en inversant les valeurs. J’imagine que c’est là où des femmes comme Marie-Andrée se doivent de me rappeler de me mêler de mes affaires, de les laisser agir. Je suis du côté du problème.

Je suis né avec des chromosomes X et Y, je n’y peux rien. Mais allez savoir pourquoi, je n’ai jamais su profiter de ma condition d’homme blanc né dans un pays riche. Ça ne me colle pas à la peau. Je suis un fils de bourgeois qui a quitté la voie toute tracée du succès sans jamais réfléchir aux conséquences, un drop-out de la carrière juridique qui ne vit maintenant que pour la littérature et l’art. J’aurai toujours plus d’affinités pour les paumés, les excentriques et les gens qui n’entrent dans aucune catégorie sociale.

Michel Foucault l’a si bien écrit: même le sexe (masculin/féminin) est une construction sociale, une de plus à déconstruire. Homme/femme, riche/pauvre, fort/faible, toutes ces oppositions devront un jour tomber pour rendre pleinement compte de la formidable diversité humaine. En attendant, je me range du côté des cas limites, des inclassifiables, des ambigus. Féministes, nous vous attendons avec impatience!

Publicité

1 commentaire

  1. J’adore te lire, et tu trouves les phrases que j’aimerais dire à ceux qui jugent et catégorisent sans accepter les différences et se basent sur le « sexe » de la personne pour définir sa façon de pensée…
    Bonne continuité !!!

REPONDRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici