Récemment, j’exprimais ma lassitude devant l’usage outrancier du trash, saupoudré à toutes les sauces pour tenter de rendre piquant un banal autrement navrant. Pourtant, je suis loin d’être opposé au trash, esthétique nécessaire, et il m’arrive encore, parfois, de réagir à celui-ci. Voici quelques pistes de trash qui marche.
Laurentie
Laurentie (2011) est peut-être le film québécois le plus difficile que j’ai vu de ma vie. Il met en scène un Montréalais de 28 ans, Louis, qui vit une sévère crise d’identité. Celle-ci se manifeste par des comportements erratiques, antisociaux et très agressifs, qui convergent vers une grave obsession que Louis développe à l’endroit de son voisin anglophone. Le personnage est en manque total de repères, désensibilisé dans ses relations et frustré par l’altérité anglophone montréalaise; aliéné, en somme, dans sa condition de mâle blanc francophone québécois.
Une scène extrêmement pénible et très explicite montre Louis se masturbant devant de la porno. Longue et aucunement érotisée, la séquence devient insupportable, tant la solitude et l’obstination violente à jouir de Louis sont palpables.
Mais l’ensemble va plus loin: ce désespoir de Louis, on nous le cadre comme symptomatique d’un malaise québécois généralisé. Ainsi, il faudrait individuellement se reconnaitre en Louis, citoyen-type de la Laurentie, cette appellation vieillie qui réfère au nationalisme profond du Québec et qui repose sur ses bases francophones et catholiques. Le film, à travers Louis, montre un Québec profondément déphasé entre ses aspirations collectives (par ailleurs rappelées par des poèmes de Gaston Miron qui ponctuent le film) et ses détresses individuelles.
Le film est trash parce qu’il passe par une laideur crue pour nous ouvrir les yeux sur une perspective sociale accablante, que nous partageons, forcément, tous. Laurentie propose une lecture très sévère de notre identité, fondée sur l’échec de nos projets collectifs qui aurait engendré un sentiment violent d’aliénation et d’intolérance à l’autre. Pour nous amener à y réfléchir sous cet angle, les réalisateurs ont pris le pari de montrer Louis dans des situations où notre malaise devient si grand qu’il se transforme en empathie. Une fois ce détour emprunté, partageant en quelque sorte la violence que Louis s’inflige, il ne nous reste plus qu’à le regarder passer au next level de ses frustrations… chez le voisin anglophone.
Les tounes trash de Mononc’ Serge
J’adore Mononc’ Serge. Une anecdote: lors des Francofolies, il y a 10-12 ans, j’ai vu Mononc’ Serge en show au Spectrum. Pour présenter une de ses chansons bien connues, il nous a raconté qu’il se faisait souvent aborder par des gens qui lui disaient admirer sa capacité à amener ses propos trash au second degré, ce à quoi Mononc’ nous a répondu en hurlant: «Je dis NON! Il n’y a PAS DE DEUXIÈME DEGRÉ! Pis la prochaine chanson s’appelle FOURRER!!!»
Pas de 2e degré chez Mononc’ Serge? Peut-être pas, en effet. Vulgaire et baveux, le personnage de Mononc’ Serge est évidemment à l’opposé de Serge Robert, dont on connait la culture, l’intelligence et l’intérêt pour la philosophie. Mais Mononc’ sévit depuis tant d’années avec une telle constance, refusant systématiquement de s’extraire au-dessus des questions qu’il touche (ou attouche), qu’il est permis de penser que son œuvre se situe, effectivement, au degré zéro du trash, du vulgaire, du con.
Mononc’ Serge, c’est celui qui crache «Je chante pour les morons» à une foule effectivement composée d’une bonne part de morons, c’est celui qui mord la main qui le nourrit lorsqu’il insulte les auditeurs de Radio X… à Radio X, c’est celui qui rappelle au Québec que ses héros ne valent pas mieux qu’un lutteur obèse qui se goinfre de poutine sur le ring après avoir remporté un match.
Mononc’ Serge, c’est la catharsis impitoyable de ce qui nous fait honte, c’est le cirque romain où l’on va jubiler devant des lions qui charcutent des malheureux qui pourraient être nos voisins, qui pourraient être nous-mêmes.
Pas T-Rès trash
À Trois-Rivières, le trash ne domine clairement pas l’espace artistique, ce qui, sans être une mauvaise chose, pose des questions intéressantes. Les artistes d’ici seraient-ils trop frileux pour se frotter au trash? Craint-on de froisser le public, les médias?
Deux cas font figure d’exceptions. Il faut d’abord mentionner le travail hors-norme du Duo Camaro, un combo de musique/spoken word improvisé, formé de Pierre Brouillette-Hamelin (instruments) et d’Alexandre Dostie (textes). En show, sur fond musical de post-rock pas propre, Dostie invente des histoires poétiques déjantées, parfois poignantes, toujours dérangeantes, dont la trame se déroule presque exclusivement dans les confins glauques de la vie sub-ordinaire.
Leur album live Correct pour chauffer a été récompensé par le Prix Godro de la relève artistique aux Grands Prix culturels 2013, un choix qui est loin d’avoir fait l’unanimité dans le milieu, surtout considérant que les autres artistes en lice étaient Bears of Legend et les Productions de la 42e rue. Je suis convaincu que Jean-Marc Godro aurait été ravi de cette controverse entourant la première remise du prix qui porte son nom.
Du côté des arts visuels, la seule démarche intéressante qui s’apparente au trash serait celle d’Annie Pelletier, qui fait dans la sculpture, l’installation et, depuis récemment, le design mobilier. Faits de matériaux récupérés et incongrus, ses meubles ne laissent pas indifférent. Prenant d’abord le mot trash au pied de la lettre – vidange –, puis le détournant sous l’appellation «néo-trash», Pelletier assemble des pièces aussi insolites que fonctionnelles, questionnant du même coup le concept de beauté et les frontières entre art, design et déco.
Sinon, tout est plus blanc que blanc en Trifluvie. Peut-être que si la Commission Charbonneau se penchait éventuellement sur nos affaires municipales, ça inspirerait de plus sales idées à nos artistes? J’en suis presque rendu à le souhaiter, parce qu’à force d’être propre, la culture d’ici a parfois l’air d’un hôpital.