Va voir ailleurs (j’y suis): Trois (ultimes) raisons de rester trifluvien

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Illustration: Pascal Blanchet
Illustration: Pascal Blanchet

J’en suis à ma onzième année d’exil trifluvien. Les perspectives locales d’emploi dans mon domaine sont rachitiques, le Torréfacteur vient de fermer, le maire de la ville passe à Infoman et vient d’être réélu haut la main. C’est certainement pas un power center en-dessous du pont Laviolette ni la perspective d’entendre un show de Grégory Charles de mon balcon dans Ste-Cécile qui vont me retenir de quitter cette ville.

J’écris ceci par un lundi matin frette de novembre, lendemain d’élections municipales. On s’est tous levé dans le noir, heure normale de l’Est, et on nous annonce qu’à Trois-Rivières, il va faire noir encore quatre ans.

Face à ce complet désespoir, un réflexe vital s’impose: faire une liste. Une bonne vieille liste, rédigée à la main, qu’on garde tout près pour se réconforter le TOC, se garder l’âme au chaud, s’illuminer de visions béates que n’égalerait aucun Veau d’or. Voici donc, reproduite pour vous, ma liste de Raisons de ne pas déménager de Trois-Rivières. Elle est brève, mais je m’y agrippe comme un maire de région à son crucifix.

1. Claude et Françoise

Sans conteste, Country Rive-Sud, diffusé chaque dimanche au 90,5 FM à Wôlinak, entre 16h et le bingo, est ma principale raison de ne pas quitter la région. Exclusivement consacrée au country québécois, l’émission est animée par le stoïque Claude Lefebvre, assisté de sa tendre moitié Françoise (Françouaise pour les intimes, c’est-à-dire tout le monde).

Je pourrais, évidemment, l’écouter de partout avec Internet, mais ce serait me priver du plaisir intarissable d’entendre les appels des auditeurs en sachant qu’ils sont mes concitoyens, ceux que je croise au dépanneur ou au bureau de poste. Un exemple-type d’appel à l’émission :

Claude: CKBN bonjour, à qui on a l’honneur de parler?

Lucienne: À Lucienne.

Claude: Lucienne. Bonjour, Lucienne.

Lucienne: …

Claude: C’est la première fois que vous nous appelez?

Lucienne: Non. J’appelé la semaine passée.

Claude: Bon, c’est bien, ça. Et qu’est-ce qu’on peut faire pour vous cette semaine, avez-vous une demande spéciale pour nos auditeurs?

Lucienne: Ça m’a pris trois fois pour avoir la ligne.

Claude: Ah bon, pourtant, il nous reste quelques lignes de libres comme on dit.

Lucienne: Chu tombée su’ l’répondeur. J’voudrais entendre vot’ chanson Entrez dans ma demeure.

Claude: Ah, c’est très gentil, ça. On l’a déjà fait jouer deux fois depuis le début de l’émission, par exemple…

Lucienne: …

Claude: Bon, bien, on va regarder pour vous faire tourner ça. Pour qui que vous aimeriez ça qu’on vous fasse tourner ça?

Lucienne: Pour mon mari, pis mes trois fils, ma fille Angèle, pis mon gendre pis ma bru qui est enceinte, pis pour toute le monde qui l’aime.

Claude: Ça en fait du beau monde, ça, à saluer, comme on dit. Bon, alors, on va vous…

Lucienne: Pis bonjour à Françouaise.

Françoise (sans micro): Bonjour là, Lucienne!

Claude: Bon, alors, on vous remercie beaucoup, Lucienne, et on vous souhaite de passer…

Lucienne: M’en va vous rappeler t’à l’heure pour le bingo.

Country Rive-Sud donne du sens à ma vie. Plus aucun souci ne m’habite quand Claude et Françoise discutent avec les auditeurs, leur font plaisir avec de la belle musique. Je dois l’avouer: je me sens bien quand j’entends Entrez dans ma demeure, j’y suis chez moi, avec les miens et Claude, notre papa à tous: «Chaque seconde, chaque parcelle de seconde / sans vous n’en finit plus / Je vous attendais / je vous espérais gens de ce monde / Mon cœur est si grand / y’a place pour mes enfants».

2. Le tofu mou d’Hermencita

Sise rue St-Philippe, l’épicerie asiatique Feng Shui, tenue par dame Hermencita Unso, est un véritable oasis dans le désert des fournitures culinaires trifluviennes. On y retrouve une quantité étonnante de produits fins asiatiques à des prix absurdes, sans parler d’un extraordinaire tofu mou vendu dans un petit sac d’eau comme si on achetait un poisson rouge.

Mais il y a plus encore, et c’est là où le Feng Shui possède sa touche unique: Hermencita. Sa bienveillance maternelle sait rassurer les plus craintifs avec leur pad thai, et son petit air qui affirme subtilement qu’elle en a vu d’autres semble mettre au défi ceux qui se pensent smatt. On ne saurait se passer d’une si précieuse conseillère en cuisine orientale dans la vie. Depuis que je connais le petit hachis d’épices japonais d’Hermencita, je désespère moins qu’il n’y ait pas de restaurant japonais à Trois-Rivières, ni indien d’ailleurs, ni polonais, ni jamaïcain, ni rien. Câlisse qu’y’a rien.

3. Un dernier détail

Mon fils. Qui est arrivé à Trois-Rivières à l’âge de 3 mois. Qui aime sa ville, parce que s’y trouvent ses amis, son équipe de soccer, tout son monde. Il n’en voit pas tous les défauts. Il adore voir des Ferrari sur des Forges pendant le Grand Prix. Trouve cool les manèges de l’Expo. Aime imiter Aérobin pour me faire rire. Aime les sandwichs dinde-bacon du Marché Royal. Les petites choses de la vie, qui est belle à cette échelle.

Ah, pis mes amis aussi. Qui vivent ici pour différentes raisons. Chez qui on va souper souvent. Et déjeuner. Avec qui on part des projets, on organise des fêtes, des évènements, des parties de baseball. Les amis qu’on aide à déménager, qu’on s’ennuie d’eux quand ils partent longtemps en voyage. Qu’on supporte quand ils se séparent, qu’on félicite quand ils scorent. Les amis. Les amis des amis. Les collègues. Les connaissances. Les voisins. Les gens.

Je pense que ça fait le tour.

1 commentaire

  1. J’ai savouré votre liste. Bien malgré moi, j’y ai ajouté l’atmosphère moite et odorant qui vous enveloppe quand il fait froid et qu’on entre au Pannetier. Les grands maigre deviennent baguette à mesure qu’ils approchent de la caisse et les petites grosse se transforment en miche de froment…

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