«J’ai toujours été un bûcheur, un type qui s’angoisse et se débat à chaque phrase, et même les meilleurs jours je ne fais que me traîner, ramper à plat ventre tel un homme perdu dans le désert. Le moindre mot est pour moi entouré d’arpents de silence et lorsque j’ai enfin réussi à le tracer sur la page, il a l’air de se trouver là comme un mirage, une particule de doute scintillant dans le sable.» – Paul Auster, Léviathan
Un soir, je donnais un show quelque part, avec mon band de noise expérimental The band called fly like an eagle to the sea like you never DO before, tu te souviens?, et puis j’ai réalisé pendant le show que je ne prenais plus ça au sérieux. J’avais fait le tour. Je jouais sur le pilote automatique pendant qu’on était supposé être le groupe le plus weird et intense de la région. Ça m’a frappé fort, ce sentiment de dilettantisme aigu. Imposture de donner un show sans conviction, alors que les musiciens talentueux qui n’ont pas l’occasion de jouer devant un public sont légion.
J’ai arrêté de donner des shows de musique un bon moment après ça. Fini. Puis, le feu m’est revenu, un autre projet de mongols s’est dessiné et j’ai sauté dedans – dessus – à pieds joints. Je me présente sur une scène, des gens crient ou s’en crissent (ça revient au même défi), je m’assois derrière mon drum et je frappe. De toutes mes maudites forces. Avec toute l’arrogance que ça implique. C’est un privilège extraordinaire.
Ça prend du front, pour donner un show. Et de la gueule. Et des couilles. Et des bras. Et une colonne. Et du cœur. Bon, vous comprenez. Quand même, c’est significatif toutes ces parties du corps utilisées pour décrire… pour décrire quoi au juste? Une éthique. Une façon d’être, d’incarner son œuvre, in carne, dans la chair, de façon aussi vraie que des jointures qui enflent après avoir frappé.
Je ne tolère plus rien en deçà de ce critère: je veux ressentir d’un artiste qu’il a buché. Le résultat peut être imparfait; tant qu’il est vrai. L’art n’est pas là pour être parfait, pour fitter avec tes meubles, pour mettre de l’ambiance. Il est là pour transmettre quelque chose de vrai, de vivant, que les lecteurs et les spectateurs ressentiront à leur tour.
Ce qui ne veut pas nécessairement dire souffrir, hein? Je veux dire, pas besoin d’avoir gravé ton poème sur tes avant-bras avec une lame de rasoir ou composé ton album séquestré dans le cachot d’un prédateur sexuel. C’est valable de vouloir transmettre autre chose qu’une souffrance.
Mais si ton œuvre coule de toi aussi facilement que le Purell dans les mains d’une esthéticienne, non merci, j’ai pas soif. On m’a déjà assez soulé de cette eau claire. Stérile comme une rime facile.
Le trash est le nouveau quétaine
J’aimerais toutefois apporter une nuance qu’on n’entend pas assez souvent. Je pense qu’on comprend bien de mes propos qu’à ma fête tu m’amènes pas voir Dominic et Martin, tu m’inscris pas aux Anges de la rénovation si je te dis que je suis tanné de mon appart, t’invites pas mon band à jouer dans un 5 à 7 de la Chambre de commerce, et tu me demandes jamais, jamais, si j’ai déjà rencontré Rafaëlle Germain dans une soirée de poésie.
Ça, c’est clair. C’est facile. Mais voici ma nuance: le facile cheap n’existe pas juste dans les quétaineries commerciales. Il faut savoir les reconnaitre partout et être absolument intransigeant. Tu peux évoluer dans les milieux artistiques les plus sur la coche et rencontrer de la facilité, du banal à tout moment.
Tout peut devenir banal. Même le trash. Même ta toune de dégueulage sa’rue Ontario. Ton vidéo de filles décâlissées qui se frenchent. Ton rap battle qui sonne comme un cours d’anatomie. Ton tumblr où tu cockslappes des Père Noël de centres d’achats (non ok, ça je veux voir ça). Ton projet de performance où tu laisses entendre que tu vas kidnapper des enfants (histoire vraie et récente). Le trash pour le trash. Le trash agace. Le trash facile.
Le trash, comme le quétaine, n’est pas le problème en soi. Tout est dans l’imaginaire, la recherche, le travail. Le reste n’est que langage et matériaux; des gros morceaux, certes, mais qui ne sont rien sans contenu. Mais si tu n’as rien à me proposer, ne compte plus sur le trash pour attirer mon attention. Dans 10 ans, 5 ans, le mois prochain, ton p’tit truc trash va être aussi usé qu’une sitcom de Gilles Latulippe.
Ceci dit, ça m’arrive de réagir au trash. D’en être authentiquement dérangé. J’adore ça. Dans ma prochaine chronique, je vous parlerai d’une sélection de quelques morceaux trash qui valent la peine. Du trash qui marche. D’ici là, si t’as des idées à me suggérer, tu peux me les faire parvenir au sebastiendulude@gmail.com. Photos de ta snatch acceptées.
(Bin oui, ‘était trop facile.)