Le soleil s’empourpre au-dessus de l’océan limpide, tandis que résonne l’appel à la prière de la mosquée d’à côté. Plus d’un mois s’est écoulé depuis mon premier récit sur cet époustouflant pays. Les paysages, les visages, les sons… autant de fragments de vie désormais plus familiers, moins déconcertants. Et pourtant, chaque détour me rappelle que ces terres demeurent étrangères, et qu’il subsiste mille et une nouveautés devant lesquelles s’émerveiller.

C’est là que s’ouvre ce deuxième chapitre en territoire sri-lankais : au cœur d’un quotidien oscillant entre habitudes naissantes et éblouissements renouvelés. Après la fascination de la nouveauté vient le temps de l’ancrage, quand tout ce qui nous était autrefois étranger devient peu à peu coutumier. Quand un coin de rue devient repère, que le « Istuti » (merci en cinghalais) commence à être justement prononcé, que les itinéraires sont peu à peu apprivoisés.
De l’Est et du lever
Quelques pas dans la nuit, il est cinq heures déjà. L’univers offre ses premières lueurs, dessinant au loin un doux renouveau. Le jour déploie lentement ses timides couleurs pastels. Là-bas, les pêcheurs se tiennent prêts, silencieux, déterminés : trier la récolte, telle est la priorité. Maigre butin… Et les voilà repartis aussitôt à l’assaut des eaux capricieuses du matin. Leurs silhouettes flottantes, s’affairant à cueillir le poisson au pied du lit, contrastent avec le ciel lumineux en toile de fond.
Cette chorégraphie routinière fascine autant qu’elle englobe. Chacun a son rôle à jouer, sa place dans le décor. Que c’est merveilleux, de contempler le réveil du monde dans sa simplicité orchestrée. Sur cette île, même le plus petit bernard-l’ermite fascine tant il interprète son rôle à la perfection. Alors, les poissons à la peau luisante s’éloignent de leur cocon : l’heure est au défilé sur les immenses étales ensoleillées. Les réveils sonnent : l’Est s’est levé.

De l’Ouest et du coucher
À l’ouest, rien de nouveau. L’astre entamera bientôt sa lente descente, teignant l’horizon de flamboyantes nuances. Même cent fois admirées avec la plus intense des attentions, impossible de se lasser de ses représentations de fins de journées. Quand les familles se rassemblent, que les jeunes footballeurs se défoulent, tout semble alors si léger. Le soleil se couche, l’obscurité grappille du terrain, et pourtant, c’est là que la vie se révèle.
Pour peu que la soirée célèbre Poya (pleine lune bouddhiste), difficile de trouver meilleur endroit de communion. Tandis que l’air s’emplit de rires enfantins, certains se laissent bercer par la douceur du soir, dans les eaux encore tièdes du vaste océan. Mais l’heure est surtout à la méditation et à la prière, en commémoration d’un esprit omniprésent du nom de Bouddha. Celui qui orne les hauteurs, parsème les rues et rythme les existences.

Il est de ces instants où la magie opère sans invocation. On se sent faire partie de ce tout, tout en tâchant de conserver un recul nécessaire. Nous sommes blancs, ils le savent. Nous sommes touristes, ils le devinent. Pourtant, certains osent l’abordage et s’intéressent à l’exotisme. Nombreux sont ceux qui s’étonnent de ces étrangers résidants. Pourquoi venir habiter un pays où le ciel s’embrase pareillement tous les soirs ?
De ce qu’il y a entre les deux
Entre les deux mises en scène soignées du soleil, la vie s’étire dans une lente effervescence. Nul besoin de se presser (excepté, peut-être, lorsqu’on traverse une rue…). Même le train a appris sa leçon : il s’agite, bringuebalant, refusant la précipitation du monde. Le vent s’engouffre par les larges fenêtres, emportant les pensées au gré des paysages. Certains s’assoient aux entrées grandes ouvertes, jambes et regards suspendus dans le vide lent de l’instant.
Plus tard, un temple reprend le flambeau de l’émerveillement. L’esprit bouddhiste emplit les cœurs, même des moins croyants d’entre nous. Au son puissant des drums (tambours traditionnels) défile alors une étrange procession : femmes, hommes et enfants portent lotus, offrandes et encens. Les pas se font nus, les voix se font fines. La douceur du mouvement suspend hors du temps le moment. À cet instant, le pays tout entier paraît retenir son souffle.

Sri Lanka. Je vis au Sri Lanka. L’île, devenue lieu de vie le temps de quelques mois, impose son rythme particulier. Rien n’est acquis, tout est à réinventer. Chaque geste, chaque couleur, chaque sourire se comprend différemment selon l’instant. Les arcanes de cette terre semblent insaisissables, transformant jusqu’à la perception du temps. Ce qui semble alors durer une éternité s’égrène en réalité avec légèreté, à l’image de sable glissant entre les doigts. Chaque journée devient un fragment d’expérience, fragile et lumineux, dont il convient de prendre le plus grand soin.
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