À la lumière des projecteurs : Valeur sentimentale – Le poids d’un héritage émotionnel brisé face aux relations familiales

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À la lumière des projecteurs est une chronique sur le cinéma bimensuelle mêlant critique de films, analyse de courants et réflexions sur le 7ème art. Crédits: Camille Ollier.

Sorti cette année en salle, le dernier drame du réalisateur norvégien Joachim Trier (Julie (en 12 chapitres), 2021; Thelma, 2017) Valeur sentimentale (titre original : Affeksjonsverdi) surprend par son approche lente et sa discrétion initiale presque prude. Mais l’oeuvre se dévoile au fil de l’histoire, et entraîne le spectateur dans une parenthèse exploratoire définitivement plus complexe et profondément nouvelle des relations conflictuelles entre père et fille, utilisant le cinéma comme une loupe — et un champ de bataille — pour raviver les blessures entre générations.

Valeur sentimentale (2025) a remporté le Grand prix de Cannes dès sa sortie en salle. Source : dossier de presse (memento distribution).

Un démarrage tout en retenue

À première vue, Valeur sentimentale pourrait passer inaperçu, voire un peu fade au début, car il prend son temps pour s’installer. Joachim Trier ne cherche pas l’effet choc immédiat. Au contraire, il nous invite d’abord à faire la connaissance de Nora Borg (Renate Reinsve), une actrice de théâtre hantée par ses angoisses.

Le cinéaste explique d’ailleurs son approche : « Un foyer est un concept hautement subjectif, et cette maison est devenue un autre point de départ pour aborder un récit plus complexe : une réflexion sur la vie et nos attentes. » Le film introduit d’abord la maison familiale à travers une rédaction d’enfance de Nora, la décrivant comme un être quasi vivant, un témoin silencieux des générations qui se sont succédées en son sein. Cette mise en contexte patiente, tissée d’analogies et de flash-backs, place une épaisseur émotionnelle, comme une image molletonnée d’un espace-temps séparant les personnages.

Le cinéma comme catalyseur

Le décès de la mère de Nora et Agnes (Inga Ibsdotter Lilleaas) vient forcer des retrouvailles entre l’ainée et leur père, depuis longtemps absent de leurs vies, Gustav (Stellan Skarsgård), un cinéaste renommé mais égoïste. Dès lors, se pointe peu à peu l’aspect très paternaliste et masculiniste du monde du cinéma, mis en parallèle avec la paternité défaillante.

Gustav propose à Nora de jouer le rôle de sa mère disparue dans son nouveau film. Ce geste, qui se veut peut-être une tentative maladroite de connexion ou d’exorcisme artistique, n’en reste pas moins perçu par Nora comme l’ultime preuve de son incapacité à la voir autrement qu’à travers le prisme de son art et de son rôle familial. Son refus catégorique est soutenu par une viscérale impossibilité pour le père et la fille d’avoir un échange, que ce soit une discussion badine ou une conversation profonde sur leurs traumatismes respectifs, mettant en lumière l’abîme qui les sépare. L’arrivée de Rachel Kemp (Elle Fanning), jeune star hollywoodienne, pour la remplacer, intensifie le drame, transformant l’art en un miroir, parfois cruel, des non-dits familiaux. Le cinéma n’est plus seulement un sujet, mais l’outil qui met en évidence l’échec de la communication.

Une exploration des fêlures émotionnelles et transgénérationnelles

Renate Reinsve partage l’affiche avec l’actrice norvégienne Inga Ibsdotter Lilleaas et l’américaine Elle Fanning Crédits : Kasper Tuxen Andersen.

Valeur sentimentale explore avec une façon nouvelle les relations tendues et conflictuelles entre père et fille, la dissonance affective et les barrières de communication où l’émotion est voilée, suggérée plutôt que vécue pleinement. Le cœur du film réside dans ce difficile problème de connexion, qui amène les personnages à communiquer comme à travers un « coton », créant une expérience ambivalente pour le spectateur, entre frustration et reconnaissance de la complexité humaine face aux blessures intérieures. Cette distance, qui peut initialement frustrer, éclaire en réalité une vérité profonde sur les fêlures de l’âme.

Renate Reinsve est époustouflante dans son rôle de Nora. Elle transmet une fragilité et une tristesse profondes, souvent sans mot dire, tandis que Stellan Skarsgård incarne à la perfection le monstre sacré et humainement défaillant. La mise en scène, d’une rigueur presque mathématique, explore la complexité du lien persistant entre l’héritage et de l’identité.

« Un foyer est un concept hautement subjectif, et cette maison est devenue un autre point de départ pour aborder un récit plus complexe : une réflexion sur la vie et nos attentes.»

Joachim Trier, réalisateur du film. Source: Memento distribution.

Une proposition originale

Malgré son démarrage lent, Valeur sentimentale est un film surprenant qui confirme Joachim Trier comme l’un des auteurs majeurs du cinéma contemporain. C’est un drame familial qui semble absorber un trop-plein d’émotions et de non-dits trop longtemps retenus. L’œuvre propose le 5e art non seulement comme moyen d’exorciser les tragédies générationnelles, mais aussi comme un calque sous-jacent de l’incapacité d’un homme à séparer sa grandeur professionnelle de sa faillite personnelle. Ce film donne matière à la réflexion sur la définition des dynamiques familiales, dont l’exploration patiente finirait par payer, offrant une richesse émotionnelle durable.

Bande annonce officielle du film Valeur sentimentale, de Joachim Trier (2025). Source : Memento distribution.

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