Va voir ailleurs (j’y suis) : Animation artistique estivale à Trois-Rivières – le bon, le brut et les truands

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La Terrasse à Bobby. Photo : BNSC

Par Sébastien Dulude, chroniqueur

Ceux qui suivent l’actualité municipale trifluvienne sont familiers avec ces deux noms : Steve Dubé et Alain Lamarre. Le premier a l’allure d’un coach de la Ligue nord-américaine de hockey, mais a, dans les faits, escaladé les échelons des milieux culturels en gérant la carrière de Jean-François Bastien (parti de Star Académie pour aller s’échouer au Ludoplex), tandis que le second a la dégaine d’un Josélito Michaud croisée avec celle de Joey Stardust d’Épopée Rock. Nos Starsky et Hutch locaux, en somme.

Mais pour la Ville de Trois-Rivières et son maire absolu Yves Lévesque, Dubé et Lamarre sont respectivement directeur général et directeur général adjoint aux communications de la Corporation de l’amphithéâtre de Trois-Rivières. Cette dernière, née pour la mise en œuvre des Fêtes du 375e anniversaire de Trois-Rivières en 2009, possède aujourd’hui deux principaux mandats : la réalisation du méga-projet d’amphithéâtre sur le site de Trois-Rivières sur St-Laurent et la coordination des animations extérieures au centre-ville lors de la saison estivale.

Des temps libres

Si Dubé et Lamarre ne passaient pas leur temps à être suspendus avec solde (d’avril à mi-juillet, en raison d’irrégularités importantes dans leur gestion du 375e) ou en vacances (de juillet à fin août, décision «stratégique» au plus fort de la saison), ils auraient peut-être la chance d’examiner de plus près le gouffre financier qui s’annonce pour 2013 avec le projet de l’amphithéâtre. En effet, on apprenait la semaine dernière que le devis initial évalué à 41 millions de dollars avoisinerait maintenant les 60 millions de dollars, nous informant du même coup que les 10000 places prévues serait plutôt ramenées à 7000, ce qui aurait un effet direct sur le rendement financier potentiel de l’endroit.

Sans parler des impacts multiples que quelques milliers de voitures auront sur le quartier Ste-Cécile à chaque soir de spectacle (en présumant que les spectacles attireront un tel volume de clientèle). Sans parler non plus du choix de planter un immense amphithéâtre sur le plus beau secteur de la ville, au confluent du St-Maurice et du St-Laurent, un vaste terrain récemment décontaminé (c’était le site de l’ancienne usine de papier Tripap) et rendu disponible aux citoyens pour la première fois depuis près d’un siècle! Sans parler enfin que, dans un contexte où les salles de spectacles de moyenne capacité sont quasi-inexistantes depuis la fermeture du Maquisart, on peut questionner la pertinence de bâtir un amphithéâtre de 7000 places ouvert seulement 4 mois par année.

Autre dossier, messieurs Dubé et Lamarre auraient tout autant avantage à revoir leurs stratégies d’animation estivale du centre-ville. À leur deuxième saison aux commandes du divertissement public trifluvien, on est fort peu impressionné du résultat. Bilan.

Think big

Sous le thème «Myriade», la programmation de l’été 2011 de la Corpo de l’amphithéâtre s’est clairement inscrite sous le signe du big : «Myriade est une très grande quantité, une multiplicité, une multitude […] Avec près de 95 animations s’étalant en 23 soirées et plus de 350 artistes, Myriade propose une panoplie d’ambiances aussi ludiques les unes que les autres!», nous vantait le site de Tourisme Mauricie.

Je n’ai rien contre une programmation étoffée. Je comprends aussi le mandat général, familial de l’exercice. Mais de la diversité, dites-moi, ce ne serait pas de varier l’offre un tant soit peu?

Jetons un premier coup d’œil à la programmation : Elvis Forever, Country Rock Twister, Papis Rock, Les Poupées, Les esthéticiennes de l’âme (!!!), Hommage à Michael Bublé… désespoir. La programmation ne manque pas de répertoire quétaine pour faire danser matante Nicole et mononc’ Reynald. Mais poursuivons.

Du côté de la musique émergente, plusieurs noms : Baptiste Prud’homme (de la Coop Émergence), Dan Lemay (de la Coop Émergence), Fabiola Toupin (de la Coop Émergence), Trop loin d’Irlande (de la Coop Émergence), bref, on le comprend bien, la Coop Émergence a signé un bon deal pour ses artistes cet été (il faut ajouter Cindy Bédard, Dan Morisette, Dany Janvier, Horloge Grand-Père, Annie Gélinas, Jacques Brunet, Brady Cardie et Basile Seni). Sachez que je n’ai rien contre ça. Je suis d’opinion qu’une bonne moitié des artistes de la coop valent le détour; pour les autres, c’est au goût.

Ce qui m’indispose, c’est le recours systématique et massif à un nombre très restreint d’organismes qui, sans remettre leur travail en question, ne représentent qu’une frange de la musique émergente. Comme si la Corpo, en signant une douzaine de contrats avec le même organisme, pouvait dire «musique émergente : check!» Ce n’est pas un exemple convaincant de diversité.

Dans cette perspective, j’étais heureux de voir figurer à la programmation des ensembles tels Vocalys, les Bebeats, les Langues Fourchues, Misses Satchmo et Corpus Rhésus qui, tout en étant connus du public, ne sont pas tous intriqués dans les mêmes réseaux étroits de promotion d’artistes.

Quand aux arts visuels, je suis agacé par un mécanisme similaire (arts visuels : check!) lorsque la Corpo s’agglutine, voire s’approprie le travail de la Biennale internationale d’estampe contemporaine, par exemple, qui n’a définitivement pas besoin de la validation de l’organisme municipal pour rayonner.

En somme, la Corpo ne crée pas d’évènements, elle en achète. Pas surprenant : dépenser, c’est en plein dans les compétences de Dubé et Lamarre.

Small is Beautiful : mes coups de cœur de l’été

Est-ce à dire que «Myriade» aura éclipsé tout l’art public disponible cet été à Trois-Rivières? Que non. Le plus objectivement possible, parmi les plus intéressantes activités artistiques extérieures que j’ai pu voir cet été, une seule était chapeautée par la Corpo de l’amphithéâtre. Il s’agit de «La terrasse à Bobby», une initiative de l’artiste Henri Morrissette (de l’Atelier Silex), en partenariat avec la Biennale nationale de sculpture contemporaine, une chouette installation participative dans laquelle le public se voyait remettre une sculpture créée en direct à partir d’objets donnés par les spectateurs. Réjouissant!

J’aimerais aussi souligner le brillantissime «T-Shirtville» de l’atelier Presse Papier, lors duquel une quinzaine d’artistes de sérigraphie, la plupart de la relève, ont conçu pendant 10 jours des centaines de t-shirts originaux et abordables. Palme d’or de l’événement cool de l’été, T-Shirtville a réellement permis à l’art actuel de sortir des galeries, pour s’exhiber fièrement sur des t-shirts (il en reste, en passant).

Enfin, j’accorderais une mention toute spéciale au collectif d’improvisation Partie intime (voir l’article en page XXX) qui a offert une prestation historique à Trois-Rivières sur St-Laurent, à l’endroit même où s’érigera le futur amphithéâtre à la gloire de nos Jean Drapeau du 21e siècle. Spectacle clandestin et un brin moqueur, sa tenue a permis de constater le paysage spectaculaire qu’offre le site et de faire réfléchir sur l’impact d’une construction massive à cet endroit.

Ne reste plus qu’à souhaiter à la direction de la Corporation de l’amphithéâtre une inspirante rentrée culturelle d’automne, et de trouver le temps de réfléchir à des moyens plus efficaces pour remplir son mandat de diversification culturelle.

Écrivez-moi : sebastiendulude@gmail.com

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2 COMMENTAIRES

  1. Je n’habite plus à Trois-Rivières, mais pour ce que j’en connais, voilà un excellent bilan de l’été et des défis à venir. Je tiens aussi à souligner que Les esthéticiennes de l’âme (!), même si voilà bien sûr un drôle de nom, est une prestation fort sympathique de la compagnie Toxique Trottoir, qui fait dans le théâtre de rue, et non pas dans la musique de récupération nostalgique, comme votre paragraphe pouvait le laisser croire.

  2. Réponse aux propos de Sébastien Dulude, concernant la participation de Coop Émergence à l’animation de la rue Des Forges cet été.

    Bonjour Sébastien, c’est en tant que vice-présidente de Coop Émergence que je me permets de réagir à ton article, particulièrement à la section titrée Think big. Ce n’est pas un exercice que je fais souvent, mais dans le cas présent, je ne pouvais passer sous silence les informations nécessaires à la bonne compréhension de la présence de la Coop mais surtout de ses membres, lors de l’événement, « Myriades ».
    Think big

    « …Sous le thème «Myriade», la programmation de l’été 2011 de la Corpo de l’amphithéâtre s’est clairement inscrite sous le signe du big : «…Myriade est une très grande quantité, une multiplicité, une multitude […] Avec près de 95 animations s’étalant en 23 soirées et plus de 350 artistes, Myriade propose une panoplie d’ambiances aussi ludiques les unes que les autres!», nous vantait le site de Tourisme Mauricie.[…] Je n’ai rien contre une programmation étoffée. Je comprends aussi le mandat général, familial de l’exercice. Mais de la diversité, dites-moi, ce ne serait pas de varier l’offre un tant soit peu? […] Jetons un premier coup d’œil à la programmation : Elvis Forever, Country Rock Twister, Papis Rock, Les Poupées, Les esthéticiennes de l’âme (!!!), Hommage à Michael Bublé… désespoir. La programmation ne manque pas de répertoire quétaine pour faire danser matante Nicole et mononc’ Reynald…. »

    Si l’objectif de cet article est de défendre la diversité, je ne vois pas la pertinence de dénigrer des styles que, peu importe ce qu’on en pense, des gens aiment, et dans ce contexte, je crois que ça ne se discute pas et que la défense de l’absence de sphères artistiques ne doit pas se faire sur le dos de celles qui sont représentées. Je préfère voir matante et mononc’ danser, c’est mieux que de rester chez soi.

    «… Du côté de la musique émergente, plusieurs noms : Baptiste Prud’homme (de la Coop Émergence), Dan Lemay (de la Coop Émergence), Fabiola Toupin (de la Coop Émergence), Trop loin d’Irlande (de la Coop Émergence), bref, on le comprend bien, la Coop Émergence a signé un bon deal pour ses artistes cet été (il faut ajouter Cindy Bédard, Dan Morisette, Dany Janvier, Horloge Grand-Père, Annie Gélinas, Jacques Brunet, Brady Cardie et Basile Seni). Sachez que je n’ai rien contre ça. Je suis d’opinion qu’une bonne moitié des artistes de la coop valent le détour; pour les autres, c’est au goût…. »

    C’est toujours une question de goût. Afin de mieux comprendre « le deal » de la Coop et de la Corporation, permettez- moi d’apporter quelques spécifications. Nous avons négocié une scène dans la programmation des Myriades, afin de permettre à nos membres, tous musiciens de la Mauricie, d’avoir accès à une part du budget géré par la corporation de l’Amphithéâtre. Ayant fait partie des artistes qui se sont déplacés dans le bureau de M. Dubé lors des festivités du 375ième, pour lui signifier mon mécontentement concernant le manque de présence d’artistes de chez nous dans leur programmation, il allait de soi que je négocie une scène pour les artistes de la Coop, dont je suis une des membres fondatrices. Il est à noter que nous ne jugeons pas la qualité artistique des artistes qui veulent devenir membres, nous évaluons leur dynamisme par leurs réalisations passées et à venir, car la mission de la Coop concerne les artistes de la Mauricie qui œuvrent dans le domaine musical, tout style confondu, démontrant une démarche professionnelle ou en voie de l’être. De ce fait, il est important de savoir que le choix des membres pour les animations de la rue des Forges était soumis à des thématiques précises, déterminées par la Corporation de l’Amphithéâtre en lien avec les différentes activités qui ont battu leur plein au centre ville cet été. Nous étions également limité au niveau technique. Tout ajout de matériel technique pour répondre à une amplification déficiente était au frais de l’artiste, le tout devant se faire dans le respect des autres prestations qui se déroulaient parfois en même temps, afin de ne pas faire de la rue des forges une cacophonie de décibels. Nous avons dans nos membres, des artistes de tous les styles, du Métal, à la techno, en passant par le trad., le folk, le pop et j’en passe. On aime, on n’aime pas, une chose est certaine, c’est que si ces artistes défendent une carrière par laquelle il vive ou souhaite en vivre, c’est qu’il y a un public qui y trouve son compte.

    «… Ce qui m’indispose, c’est le recours systématique et massif à un nombre très restreint d’organismes qui, sans remettre leur travail en question, ne représentent qu’une frange de la musique émergente. Comme si la Corpo, en signant une douzaine de contrats avec le même organisme, pouvait dire «musique émergente : check!» Ce n’est pas un exemple convaincant de diversité…. »

    Coop Émergence est un nom, une raison sociale, qu’un groupe d’artiste a décidé de donner à un organisme d’économie sociale répondant à leurs besoins, de là, le nom de la scène Émergence. Nous ne possédons pas le monopole de cette appellation et toute personne se considérant comme tel peu se dire émergente, membre ou non de la Coop. Si, pour parler de musique émergente, tout ce qui se fait, dans tous les styles d’expression qui foisonnent au sein de notre culture, doit être représenté, bien rares sont les événements qui pourraient se prévaloir de ce terme. J’invite les organismes qui se sentent lésé de ne pas avoir été interpellé lors de la programmation de la rue des Forges, à déposer un dossier pour l’année prochaine. Il en va de l’artiste et ou de l’organisme qui le représente de faire sa part de recherche pour dénicher les opportunités susceptibles de le mettre en valeur et de mettre du pain sur sa table. Attendre qu’on vienne nous dénicher comme le secret le mieux gardé en ville, demeure une position qui, selon moi, sera plus propice à voir naître des frustrations que des résultats. C’est exactement pour des raisons comme celles-là que la Coop a vue le jour, afin de représenter des artistes pour qui c’est souvent une corvée que d’aller « se vendre » auprès des diffuseurs. Dans le cas présent, je crois qu’elle a bien rempli son mandat.

    « …Dans cette perspective, j’étais heureux de voir figurer à la programmation des ensembles tels Vocalys, les Bebeats, les Langues Fourchues, Misses Satchmo et Corpus Rhésus qui, tout en étant connus du public, ne sont pas tous intriqués dans les mêmes réseaux étroits de promotion d’artistes… »
    À titre informatif, les Bebeats sont membres de Coop Émergence. Je n’ose pas prétendre que vous vouliez insinuer non plus que Coop Émergence fait partie d’un réseau étroit. Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux membres soucieux d’utiliser nos services pour voir leur carrière rayonner chez nous et à l’extérieur de nos frontières. La Coop appartient à ses membres et elle se veut une structure souple, épousant les reliefs des besoins de ceux et celles qui se l’approprient.

    « …Quant aux arts visuels, je suis agacé par un mécanisme similaire (arts visuels : check!) lorsque la Corpo s’agglutine, voire s’approprie le travail de la Biennale internationale d’estampe contemporaine, par exemple, qui n’a définitivement pas besoin de la validation de l’organisme municipal pour rayonner.[…] En somme, la Corpo ne crée pas d’évènements, elle en achète. Pas surprenant : dépenser, c’est en plein dans les compétences de Dubé et Lamarre… »

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