ÉDITORIAL — L’HUMAIN APPROXIMATIF: La phobie d’en avoir moins que les autres

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Samuel «Pedro» Beauchemin. Photo: Mathieu Plante
Samuel «Pedro» Beauchemin. Photo: Mathieu Plante

La phobie d’en avoir moins que les autres est un phénomène de société obser-
vable lorsqu’une tranche de la société revendique ou obtient de meilleures conditions sociales. Lorsque cela arrive, les citoyen.ne.s qui ne sont pas touché.e.s par ces avancés s’offusquent violemment. La peur d’être laissé.e pour contre semble créer cette réticence aux changements.

Trois cas récents nous indiquent que la population québécoise est présentement victime de cette angoisse injustifiée. Les premiers symptômes ont été observés lorsqu’il a été question d’augmenter le salaire minimum à 15$ de l’heure. Le lock-out à l’aluminerie ABI de Bécancour a fait rechuter les habitant.e.s de la province dans la névrose. Comme si ce n’était pas assez, les médecins ont osé conclure avec le gouvernement du Québec des hausses salariales. Mais quel espoir reste-t-il pour la classe moyenne nombriliste?

Mais quel espoir reste-t-il pour la classe moyenne nombriliste?

Un salaire minimum à 15$

En 2015, il fallait travailler sept heures et 46 minutes pour pouvoir se procurer une passe mensuelle de transport en commun dans la ville de Montréal. Il reste ensuite à payer le loyer, l’épicerie, le linge, et ça devient encore plus difficile avec une famille. S’opposer à une augmentation du salaire minimum est relativement indécent dans ces conditions. Malgré tout, un nombre assez important semble être contre. La prochaine hausse ne dépassera pas les 12 dollars, et déjà la majorité non concernée par le salaire minimum est sur le bord de la crise de panique.

Selon les chiffres de l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ), il n’y a pas eu de baisse d’emplois observable en lien avec les augmentations salariales importantes entre 2007 et 2010. En admettant que les commerçant.e.s ne soient pas tous capables de survivre, ils et elles auront au moins la sécurité de travailler chez leurs compétiteur.ice.s pour ce taux horaire si abusif.

Les grands chefs bandits de l’Aluminerie de Bécancour

Du moins, c’est ce que semble vouloir nous proposer TVA Nouvelles avec des titres accrocheurs comme «Des clous sur la ligne de piquetage d’ABI?: la SQ mène une enquête» ou encore «Le conflit s’envenime à l’Aluminerie de Bécancour». En plus, tout le monde sait que les travailleur.se.s de «shop» sont gras dur et se plaignent le ventre plein.

La première offre patronale a été refusée à 97% par les ouvrier.ère.s de l’aluminerie, tandis que la dernière l’a été à 80%. Pour mobiliser une aussi grande unanimité, les grévistes ont dû être mobilisé.e.s par autre chose que la gloutonnerie. Je n’ai d’ailleurs jamais observé un.e employé.e s’enrichir avec un lock-out. Lorsqu’on se penche sur ce qui a motivé la grève, c’est plutôt la refonte du régime des retraites et le non-respect de l’ancienneté des employé.e.s, et non une question de meilleurs salaires.

La majorité non concernée par le salaire minimum est sur le bord de la crise de panique.

À bas l’aristocratie médicale!

Pas besoin de vous rappeler que le ministère de la Santé est dans l’eau chaude. Ce n’est pas seulement la couche de ma grand-mère dans son CHSLD qui est pleine, mais aussi la patience de tout le personnel. Pour ajouter à l’injure, le salaire des médecins augmentera de 11,2% d’ici 2023. Armez-vous de gourdins et de pierres, sortez l’échafaud et allons «faire charivari» aux médecins!

Prenons le temps d’oxygéner notre cerveau un peu. Je vous invite à sortir de votre zone de confort en réfléchissant aux conditions de métiers d’un médecin. Ils et elles gagnent en effet beaucoup plus (409 000$) que le revenu moyen (59 822$) au Québec. Mais d’un autre côté, ils et elles doivent demeurer à l’hôpital sans compter les heures, ont des gardes à accomplir et peuvent être appelé.e.s à n’importe quel moment de la journée ou de la nuit. Ce ne sont bien sûr pas les seul.e.s à occuper ce type de routine, mais peu de gens ont des décisions de vie ou de mort à devoir prendre quotidiennement.

Armez-vous de gourdins et de pierres, sortez l’échafaud et allons «faire charivari» aux médecins!

Nous devons ensuite réfléchir à la véritable nature de l’entente et à ce qu’en pensent vraiment les médecins. Qui profite présentement de la division entre les différents corps de métier? Primo, les augmentations font partie du rattrapage salarial promis depuis longtemps, ce n’est pas un cadeau de la part de Barrette. De plus en plus de médecins sortent dans les médias pour demander un meilleur environnement de travail au lieu d’une augmentation salariale. Secundo, diviser les employé.e.s de la santé profite au gouvernement. Il peut ainsi mettre à profit le vieux dicton: «diviser pour mieux régner».

Pour qu’on prenne soin de ma grand-mère

À l’aide des médias, Philippe Couillard et sa bande utilisent la désinformation pour polariser les opinions dans la population. Il faut anticiper ces fines tactiques en développant notre capacité à l’empathie. Nous pourrons ainsi nous libérer de la phobie d’en avoir moins que les autres. Acceptons que tout un chacun ait droit d’aspirer à mieux, de meilleures conditions pour les ouvriers de l’ABI. Que le système de santé soit sain et que ma grand-mère et tous les autres résidents en CHSLD aient le droit à une fin de vie dans la dignité.

1 commentaire

  1. Concernant les médecins spécialistes, cette augmentation salariale était effectivement dans le planning depuis des années, avant même le retour au pouvoir des libéraux. Par contre, il y a place « gros bon sens » dans ce type d’histoire : le rattrapage salarial s’inscrivait dans un contexte où l’Ontario payait beaucoup plus cher ses médecins spécialistes. Aujourd’hui? Le Québec est bon troisième dans sa rémunération de son élite médicale, après le Yukon et l’Î-d-P-E (primes d’éloignement, évidemment). Alors, là où le contexte a changé, là où l’Ontario a vu que ce n’était pas viable d’outre-payer ses médecins spécialiste, le Québec ne s’ajuste pas. Ces contrats sont ouverts : le rattrapage salarial n’est pas inexorable et le Parti Libéral aurait dû prendre la décision de ne pas le respecter, vue la situation du système de la santé. On parle d’argent qui pourrait servir à l’emploi ou à la rémunération adéquate des AUTRES joueurs, grands joueurs, du système médical. On parle de réduire les taux de mortalités plus élevés attribuables au temps supplémentaire obligatoire (http://avenues.ca/editoriaux/ratios-securitaires-infirmieres-ont-quota/). On parle d’honorer la raison d’être des médecins : les patients. Eh oui, on nous apprend en médecine que les patients sont le pivot autour duquel s’articulent toutes nos entreprises médicales. Ceci devrait inclure la rémunération, là où le système de la santé n’est pas en mesure de répondre aux besoins des patients. Si le système se portait bien, go les augmentations! Sans hésitation! Mais c’est une question de contexte et tout indique que ces augmentations sont grassement indues.

    À ceux qui croient que l’élite médicale mérite un plus-que-faramineux salaire sur la base 1) de leurs études, 2) des décisions de vie et de mort qu’elle prend au quotidien, 3) de leurs conditions de travail, je vous réponds :

    1) Les chercheurs effectuent 1, 2 parfois même 3 postdoctorats. La durée des études est beaucoup plus longue chez ceux-ci. Leur salaire est moindre à comparer à celui des médecins. Ils ont compris que la science est une économie du don. C’est ce qu’on nous apprend, dès le départ.
    2) Les médecins ne sont pas seuls à sauver des vies au quotidien. Cette responsabilité pèse sur les épaules de tous les intervenants, celles du personnel pré-hospitalier, des infirmiers et infirmières, des techniciens et des médecins.
    3) Parlez des conditions de travail avec les infirmiers et infirmières. On s’en rejase.

    Également, je vous invite à la lecture : http://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/521162/salaire-des-medecins-le-gateau-public

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