Lorsqu’on parle de poésie aujourd’hui, est-ce que l’on parle toujours de ces sonnets que les hommes déclamaient à leurs dames à l’époque romantique, où la rime rendait les vers si beaux et si chantants? Non. Les poètes d’aujourd’hui sont beaucoup plus libres de contraintes, ils n’ont pas à prouver leur valeur avec des rimes. Ils la montrent avec les mots. Car la langue française et si riche de beauté et de possibilités.
Un poète de la Mauricie
Gatien Lapointe est un homme et un poète de chez nous. Mauricien né en 1931, il étudiera au Petit séminaire de Québec. Il entrera ensuite à l’Université de Montréal où il obtiendra sa licence en lettres, avant de s’initier plus tard à l’édition. Une bourse de la Société Royale du Canada lui permettra d’aller étudier à la Sorbonne et au Collège de France, tout en visitant l’Espagne et l’Italie.
Ce n’est qu’à son retour, après avoir enseigné pendant sept ans la littérature québécoise au collège militaire de St-Jean, qu’il se joindra à l’équipe de l’Université du Québec à Trois-Rivières en tant qu’animateur d’atelier de création littéraire, avant d’être véritablement professeur de création. C’est sans doute le tout premier à avoir donné des cours de création à cette université.
En 1971, il cofonde les éditions Les Écrits des Forges, une maison d’édition devenue très importante en Mauricie. Au cours des années et grâce à ses nombreuses publications, dont Ode au St-Laurent (1963) qui est considérée comme «l’une des œuvres phares de la poésie québécoise», il remportera de nombreux prix (Prix du gouverneur général, Prix de la Province de Québec (deux fois), Prix du Maurier, Prix du Club des Poètes (France)). Il explorera non seulement toutes les particularités du langage, mais également la sonorité des mots. L’aspect sonore du langage poétique l’aura énormément captivé vers la fin de sa carrière. Il décède en 1983.
Au cours des années et grâce à ses nombreuses publications, dont Ode au St-Laurent qui est considérée comme «l’une des œuvres phares de la poésie québécoise», Gatien Lapointe remportera de nombreux prix.
Un recueil de poèmes pour compléter tous les autres
Je vous présente ici un recueil de poèmes colligé et présenté par un de nos très chers professeurs du Département de lettres et communication sociale, Jacques Paquin. Cet ouvrage vient compléter l’ensemble des œuvres complètes de l’auteur, puisqu’il contient des textes n’ayant jamais été publiés «sous forme de recueil». On y retrouve des poèmes inédits, et d’autres ayant paru dans des revues ou des journaux au fil des années.
En ce début d’année, dans le froid, la neige, le redoux et la pluie, je redécouvre la beauté de la Terre à travers les écrits de Gatien Lapointe. Je revois le ciel bleu de l’été, les oiseaux aux printemps, le vent de l’automne, le fleuve qui coule et longe la terre sans jamais s’arrêter. Je replonge dans mes plus beaux souvenirs, et les mots me chantent le Québec d’autrefois.

Le fleuve de Gatien Lapointe est le même que celui que l’on voit s’écouler, jour après jour, le long des rives de Trois-Rivières. Le temps qui passe et ne s’arrête pas est le même que celui d’il y a 30 ou 40 ans. La nostalgie du temps et de la jeunesse perdue que nous ressentons tous à un moment ou à un autre est la même qui étreignait le cœur du poète il y a des années.
Tous ces thèmes se retrouvent dans le recueil que je vous présente ici. Ils alimentent l’écriture et l’imaginaire de l’auteur. La vie et la mort, inévitable fin pour nous tous, font également partie de son inspiration. C’est avec beaucoup de style qu’il utilise tous ces thèmes, un style que l’on ne retrouve pas dans tous les recueils de poésie qui nous tombent sous la main.
Il y a beaucoup d’images et d’accumulations d’idées et de sentiments dans les textes de Gatien Lapointe. Ses poèmes font souvent l’énumération des gestes de la vie par exemple, ou de toute autre chose par rapport à lui-même. Il semble prendre conscience de son être dans son intégrité à travers son écriture. Son corps fait partie d’un univers plus grand que lui. Par exemple, son poème «J’appartiens à la terre II» en témoigne: «Et je m’appelle terre, et je m’appelle temps,/ J’aime au plus proche de mon corps/ Et je dis non à la mort.»
Le pouvoir de la poésie, c’est de donner du sens à ce qui n’en a pas à première vue.
Le pouvoir de la poésie, c’est de donner du sens à ce qui n’en a pas à première vue. L’écriture poétique permet de faire ressortir ce que la parole ne peut pas dire ou exprimer. À eux seuls, les mots sont capables d’extérioriser tout sentiment humain possible d’être ressenti, et ils les décrivent avec parfois une telle vérité que l’on peut éprouver ce sentiment dont l’auteur parle, à l’aide de la simple lecture des mots.
Et il n’y a pas meilleur moyen de ressentir les mots que de les lire:
«Il écrit pour se devenir et se vivre AUTREMENT, DIFFÉREMMENT, et plus cru, et plus immédiat. Il parle proche et brut. Il écrit pour mettre en marche le métaphorique de chaque être. Il transcrit de la vie et de l’imaginaire. IL INVENTE DES ÉCLATS DE POSSIBLES. IL INVENTE DES ÉCLATS D’ÉCRITURE. Futur présent, il dynamite l’inconnu et, remontant l’immémorial, il se rappelle. Il jaillit dans l’instant. Advenant dans ce qu’il est depuis toujours, il parle de tous les temps, il parle à tous les temps. Il vient essayer dans les vôtres son désir et sa vie. Et cela s’écrit aussi ÊTRE SEUL.»
LAPOINTE, Gatien, Poèmes retrouvés, poèmes choisis et présentés par Jacques Paquin, édition Les Écrits des Forges, Trois-Rivières, 2016, 225 pages.