À la lumière des projecteurs : L’art de faire tomber les murs

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À la lumière des projecteurs est une chronique bimensuelle sur le cinéma, mêlant critique de films, analyse de courants et réflexions sur le 7ème art. Cette semaine, nous abordons un concept clé du cinéma: le 4ème mur. Crédits: Camille Ollier.

Le 4e mur, de quoi s’agit-il ? Ce concept fascinant traverse les arts, notamment le théâtre duquel il provient, et le cinéma. Dans le Grand dictionnaire Terminologique québécois, il est défini comme l’ouverture de scène. Mais qu’en est-il plus concrètement ? Pourquoi cette appellation qui semble rattachée au théâtre est de plus en plus utilisée à propos du cinéma ?

Les origines de l’expression

Le 4e mur est né au théâtre. C’est ce mur invisible qui se trouve entre la scène et la salle, entre les acteurs et les spectateurs. Traditionnellement, les acteurs font comme si ce mur existait, ils ne s’adressent pas directement au public. C’est une convention qui permet de créer une illusion de réalité et de plonger le spectateur dans l’histoire.

Au cinéma

Au cinéma, le concept est similaire. Les personnages évoluent dans un univers qui leur est propre, sans se soucier de l’existence ni de la caméra ni du public. Cependant, au cinéma, les possibilités pour jouer avec cette convention sont plus diverses. Par exemple :

La narration à la première personne : Le personnage raconte son histoire à la caméra, comme dans un documentaire.
Le regard caméra : Le personnage regarde dans l’objectif, créant une connexion particulière avec le spectateur.
Briser le 4e mur : Le personnage s’adresse soudainement à la caméra, comme s’il parlait au spectateur directement. Ce procédé crée un effet de rupture du récit ou de l’histoire, de complicité personnages-spectateurs ou de mise en abyme dans l’histoire.

Les quatre murs de la fiction sont issus des traditions dramatiques. Crédits: Pstock.

Pourquoi ce concept est-il important ?

Le concept de quatrième mur permet la création d’une réalité illusoire, qui immerge le spectateur dans l’histoire et, de facto, dans l’univers fictionnel. Il va faciliter l’adhésion du spectateur avec le personnage, et permettre à la personne de s’identifier avec lui malgré les possibles écarts socio-culturels, biologiques ou temporels entre eux.

Une sorte de frontière imaginaire qui sépare les personnages de fiction du public qui l’écoute.

L’intention derrière ce procédé est généralement humoristique, comme dans les films de l’univers Marvel, en particulier Deadpool. Ce personnage fictif brise le quatrième mur pour s’adresser aux spectateurs, et le fait de façon totalement assumée. Il emprunte aux 3 processus mentionnés précédemment, et il est attendu de lui de le faire. C’est quelque peu sa marque de fabrique.

Tinh, incarnée à l’écran par Chloé Djandji dans le film Ru (2023, Charles-Olivier Michaud). Crédits: Immina Films.

Cependant, le procédé de briser le quatrième mur peut aussi être employé afin de créer de la surprise ou de la tension. Par exemple, dans le film inspiré d’une histoire vraie Ru, la jeune Tinh plante son regard sans aucune autre expression du visage dans l’œil de la caméra. Elle ne parle pas, elle ne bouge pas, elle nous regarde simplement. Pourtant, par ce visage d’enfant immobile, on comprend que le temps est en suspens, que bien des images de guerre et des souvenirs de sa traversée depuis le Vietnam cogitent dans sa tête. La tension est telle qu’on en oublie de respirer quelques secondes.

Briser un mur pour élever la pensée

Finalement, le concept même de quatrième mur s’apparente à une invitation à la réflexion de la relation entre l’œuvre, et son spectateur. Si certaines œuvres d’art sont dépendantes du regard de son destinataire, il en va différemment pour le cinéma. Certes, le maintien à l’affiche d’un film dépend de sa fréquentation en salles, son audience, le nombre d’entrées, etc…

Mais l’objet film, lui, aura une existence qui va perdurer après sa sortie en salles. Ainsi, on le retrouvera (du moins depuis plusieurs années) en format « portable » avec les DVD, en format numérique avec les plateformes de visionnements en ligne, et à la demande, avec certaines de ces plateformes sur lesquelles on peut louer un film (oui, comme du temps de notre enfance…) ou l’acheter sur la plateforme. Le film cesse donc, dans une certaine mesure, d’être uniquement éphémère pour entrer dans une seconde phase plus durable.

Bande annonce du film Deadpool & Wolverine réalisé par Shawn Levy (2024). Crédits: Marvel YouTube.

Le fait alors de briser la seule cloison entre la fiction et la réalité vient questionner ce même rapport et l’usage répété de ce procédé peut soit lui être bénéfique, soit au contraire, vouer le film à l’échec. Ici, nous pourrions reprendre l’exemple de Deadpool. Le dernier film en date qui est sorti n’a que quelques mois d’existence, a été fortement attendu, et pourtant ç’a été un flop remarquable (attention, spoilers).

Si on y retrouve des situations ubuesques comme dans les deux premiers de la série, le personnage fait une mise en abyme extrême dès les premières minutes. Faisant allusion au rachat de la compagnie de production des films Marvel, les blagues de mauvais goûts s’enchaînent, laquelle critiquant le scénario du dernier Wolverine, laquelle faisant des blagues à connotation sexuelle sur les anciens producteurs, et ce, toutes les deux minutes et quart, pendant toute la durée du long métrage (d’une durée totale de 128 minutes). Par ailleurs, la multiplication résultant de multivers (les mêmes que ceux de Docteur Strange, en effet) fait que des dizaines de Deadpool apparaissent à l’écran, et se querellent l’attention du spectateur. La blague est amusante, si elle est succincte, et unique.

C’est donc un outil narratif puissant que le concept de quatrième mur, permettant ainsi de créer des expériences cinématographiques riches et variées. L’apprécier est propre à chacun, cependant, par sa connaissance les nuances dans les choix des réalisateurs et les effets qu’ils cherchent à produire sur le public deviennent plus évidentes, et lorsque faites adéquatement, plus savoureuses.

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