
Belle et Sébastien, Princesse Sarah, Le ciel bleu de Roméo, Goldorak… Non, nous ne jouons pas à chasser l’intrus, ceci est une liste non exhaustive des séries animées qui ont marqué l’enfance des natifs des années 80. Leur point commun: elles sont toutes des séries japonaises.
Il est 17 heures, c’est l’heure de quitter l’école. C’est l’heure de courir pour arriver juste à temps afin de voir Belle et Sébastien. C’était notre rendez-vous incontournable, mon oncle et moi. Un verre de thé et une tranche de pain avec une couche épaisse de beurre et une autre couche encore plus épaisse de confiture. Nous sommes prêts pour une trentaine de minutes de plongée dans le monde féérique de la série animée.
Le dessin animé est l’endroit où imaginaire et rationnel se confondent pour révéler l’extraordinaire du monde.
L’enfant de six ans que j’étais ne se posait guère de questions pour savoir pourquoi son oncle de 30 ans écoutait avec elle un programme supposément destiné à des enfants. J’étais juste contente et reconnaissante d’avoir un si bon compagnon pour ma virée virtuelle de la journée. Il m’a fallu atteindre l’âge adulte pour comprendre pourquoi mon oncle aimait tant regarder ces séries avec moi.
Bien que le dessin animé oppose une vision imaginaire à celle rationaliste du monde, il véhicule des messages aussi efficacement, sinon mieux, que les documentaires. C’est que la fiction permet de placer sur les lèvres de personnages inventés ce qu’on n’oserait pas attribuer à des personnalités connues.
L’idée de déplacer la provenance du message n’est pas native de l’ère de l’animé, toutes catégories confondues. Depuis des siècles, les auteurs qui craignaient pour leur vie personnifiaient les animaux ou inventaient un lieu pour l’intrigue, car voyez-vous, il fallait toujours que ça se passe ailleurs.
Un des exemples les plus frappants sans doute est celui de Bidpay. Ce philosophe indien s’est vu demander par l’empereur d’écrire un livre, afin d’immortaliser la vie à l’époque. Bidpay ne pouvait pas relater les faits tels qu’ils étaient. La dictature du dirigeant, l’emprise qu’il exerçait sur le peuple et sa réputation d’homme qui déteste «non» comme réponse ont inspiré les fables indiennes à notre philosophe.
C’était la première fois de l’histoire de la littérature mondiale que la sagesse, la ruse et le vivre ensemble sont exprimés par des animaux. Les Fables de La Fontaine s’inscrivent dans le même contexte. Il y a d’ailleurs des dires que ce dernier s’est inspiré de Bidpay, mais bien entendu, cela n’a jamais été prouvé.
Un peu plus loin dans l’histoire, mais toujours en France, les écrivains placent de plus en plus leurs histoires dans des territoires géographiques lointains. Don Juan de Molière, Le mariage de Figaro (qui prennent tous deux place en Espagne) de Beaumarchais et Candide (qui prend place en Allemagne) de Voltaire en sont de bons exemples.
Encore de nos jours, les artistes ont recouru aux mêmes méthodes, mais ce qui a changé, ce sont les moyens pour réaliser leurs œuvres. Ce qui nous mène à l’ère du dessin animé. Le fait que le spectateur soit conscient qu’il s’agit de personnages dessinés et créés et de l’imagination de l’artiste lui fait accepter aisément tous les attributs qu’on leur donne. C’est ce qui constitue justement la force de l’animé.
Un des pays leaders des séries animés est le Japon. Après la Deuxième Guerre Mondiale, le pays a pris un tournant en matière de politique étrangère. Il a consacré toutes ses ressources au développement industriel, scientifique et économique, ce qui lui a valu une place parmi les sept dragons asiatiques. L’épanouissement culturel a suivi comme une suite logique. Ce n’est pas pour rien que ces dessins animés japonais présentent une représentation du monde sur lequel la paix règne, ou encore que le bien finit toujours par triompher.
Une des icônes de cette culture est Hayao Miyazaki. Si vous ne le connaissez pas, et bien sachez tout simplement que Miyazaki est pour le Japon ce qu’est Walt Disney pour les États-Unis. Diplômé en science politique, Miyazaki a consacré tout son être à lutter contre la guerre et la culture de la guerre. Il joint un studio de dessin animé, et se découvre très vite un talent hors pair. Dessinateur, auteur et producteur, Miyazaki vit désormais pour le dessin animé.
Depuis des siècles, les auteurs qui craignaient pour leur vie personnifiaient les animaux ou inventaient un lieu pour l’intrigue.
The Castle of Caliostone, Princess Mononoke, My Neighbor Toto sont quelques-uns de ces travaux qui ont fait le tour du monde. Très vite, les récompenses au Japon et partout dans le monde se multiplient, et Miyazaki acquiert une notoriété internationale. En 2003, il gagne un Oscar pour ses travaux, mais à la surprise de tous, refuse de le recevoir. Dans une entrevue, Miyazaki affirme qu’il refuse d’être récompensé par un gala d’un pays qui était en guerre (à l’époque les États-Unis bombardaient l’Iraq).
L’intégrité de Miyazaki, la beauté des dessins qu’il fait toujours à la main, la profondeur des sujets qu’il traite font de lui un exemple vivant que la lutte contre la guerre n’a pas besoin d’être forcément au franc.