M. Trudeau,
D’emblée, je vous félicite de votre nouveau poste et vous remercie de nous avoir libérés d’Harper. En effet, je n’aurais sans doute jamais tenté d’écrire ce genre de lettre à votre prédécesseur, de peur qu’il n’en comprenne pas un traître mot.
Devant les dirigeants du monde entier à COP21 (Paris 2015), vous avez annoncé que le Canada était de retour dans la lutte aux changements climatiques. Vous sembliez d’avis que le pétrole est une énergie sale que nous devons éliminer au plus vite pour contenir le réchauffement à 2°C. Je dois le reconnaître, vous avez fait bonne figure.
Début mars, vous avez réuni vos homologues des provinces à Vancouver afin de faire suite à la conférence de Paris sur le climat. Vous espériez que les premiers ministres provinciaux partagent «un but commun», celui d’«une économie émettant peu de carbone, qui continue à fournir de bons emplois et à créer des opportunités pour les Canadiens». Vous y aviez même annoncé d’énormes investissements dans les infrastructures et technologies vertes.
Quel clash avec l’héritage d’Harper!
Cependant, les choses ont pris une tournure malheureuse lorsqu’on vous a demandé si vous comptiez rejeter le projet d’Énergie Est. «On n’est pas encore rendu à un monde sans fossiles», avez-vous répondu avant d’ajouter que, tant que le monde dépendra des combustibles fossiles, le Canada sera là pour lui en fournir. Autrement dit, l’Alberta continuera à exploiter le pétrole des sables bitumineux, et le pipeline traversera le Québec. À vous entendre, vous désiriez financer vos nouvelles initiatives vertes grâce aux noirs oléoducs.
Pour votre information, une récente étude parue dans la célèbre revue Nature1 démontre que 85% du pétrole issu des sables bitumineux albertains doit rester inexploité afin de contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C. Comme vous le savez sûrement, ce pétrole possède un ratio énergie retournée/investie extrêmement bas, ce qui implique des coûts énergétiques et économiques importants tant pour l’extraire que pour le transformer. Il est donc peu rentable et hautement polluant. Vous comprendrez donc que nous ne devons pas encourager cette industrie (par la facilitation du transport de cette ressource) afin de rester sous la barre des 2°C.
De plus, un oléoduc doit être solide et durable afin d’éviter les catastrophes environnementales. Est-ce cohérent de bâtir une installation pérenne pour une énergie que vous souhaitez faire disparaître afin d’atteindre «cette économie peu carbonée»? J’en doute.
L’oléoduc Énergie Est acheminerait l’un des types de pétrole les plus polluants vers le Nouveau-Brunswick pour ensuite le vendre à l’international. Face au refus de la Colombie-Britannique et des États-Unis, le Canada a décidé que l’oléoduc passerait par le Québec, qui prendrait alors tous les risques sans retombées locales ni création d’emplois. Ce pétrole traverserait environ 830 rivières québécoises, dont certaines sont des sources d’approvisionnement en eau potable pour la population.
Une récente étude menée à Polytechnique2 met en lumière que les rives de nombreux cours d’eau sont trop instables pour ce projet d’oléoduc: la rivière Saint-Maurice, par exemple. Rappelons-le, 1,1 million de barils de pétrole transiteront, près de cette source d’eau potable, chaque jour.
Cesser nos investissements dans l’industrie du pétrole doit être le premier pas de notre virage vert, puisqu’il existe des alternatives. Diversifier notre économie et nos modes de production d’énergie serait une solution bénéfique, tant économiquement qu’écologiquement. Certains appelleraient cela du… développement durable.
Pour votre information, une récente étude parue dans la célèbre revue Nature démontre que 85% du pétrole issu des sables bitumineux albertains doit rester inexploité afin de contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C.
L’industrie éolienne n’est pas à elle seule la solution, mais elle peut représenter une source d’énergie alternative qui créerait des emplois locaux. Saviez-vous que les usines de Marmen à Matane et à Trois-Rivières sont de gros producteurs d’éoliennes, qui pourraient même exporter aux États-Unis si les investissements le permettaient?
Il faut aussi considérer l’hydroélectricité, qui est une énergie alternative ayant déjà fait ses preuves. Notre potentiel hydroélectrique est énorme et l’expertise existe déjà. Notre pays est un leader mondial dans ce domaine grâce à Hydro-Québec. Certes, c’est actuellement impossible de contenir cette énergie afin de l’exporter, mais des chercheurs s’intéressent déjà à la question.
Vous pourriez aussi investir dans la recherche et le développement pour les énergies propres et renouvelables. L’hydrogène est une option prometteuse qui n’est pas tout à fait au point. Ceci dit, nos éminents chercheurs de l’Institut de Recherche sur l’Hydrogène (IRH) de l’UQTR pourraient certainement faire de grandes choses avec des investissements similaires à ceux que vous avez faits pour sauver les pétrolières albertaines.
Je vous demande donc, au nom de ma génération et des prochaines, de faire preuve d’intelligence et de courage. Vous promettez avec justesse des investissements majeurs dans les énergies vertes, mais encore faut-il les financer avec justesse. Si vous prenez l’objectif du 2°C au sérieux, vous devez renoncer à l’extraction des sables bitumineux albertains.
Énergie Est est donc inutile, excepté peut-être à l’industrie pétrolière si chère à votre prédécesseur.
À bon entendeur, salut!
2 http://hydrocarbures.gouv.qc.ca/documents/etudes/GTRA03.pdf