Un peu d’histoire: La nuit montréalaise (Partie 1) — Éclairer l’obscurité

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Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante
Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante

Cher.ère lecteur.rice, dans ma première chronique pour le journal Zone Campus, j’avais abordé avec vous le concept de municipalisation du territoire montréalais dans la première moitié du 19e siècle. En ce sens, je désire poursuivre avec vous ma réflexion concernant l’histoire montréalaise du 19e siècle. 

En d’autres termes, je désire aborder un sujet qui me passionne et qui est au centre de mes intérêts de recherche. Par conséquent, je vais aborder avec vous plusieurs aspects historiques qui caractérisent les soirées montréalaises du 19e siècle.

L’éclairage: Éclairer l’obscurité de la ville

Lors d’un voyage à Montréal au début du 19e siècle, Priscilla Wakefield constate que les rues ainsi que les commerces de la ville possèdent un aspect lugubre la nuit tombée[1]. À cette époque, l’éclairage public n’est pas pris en charge par les villes, mais bien de manière privée par les propriétaires de lieux publics. En 1811, en vertu d’un règlement de police, les propriétaires de cafés, auberges ou tavernes de la ville de Montréal sont dans l’obligation de maintenir allumée une lampe depuis le coucher du soleil jusqu’à minuit[2].

Lors d’un voyage à Montréal au début du 19e siècle, Priscilla Wakefield constate que les rues ainsi que les commerces possèdent un aspect lugubre la nuit tombée.

Il nous est donc difficile de retracer les premières manifestations de l’éclairage à Montréal avant la prise en charge de celle-ci par la ville en 1818. Nous savons que dès 1811, l’éclairage des rues devient un enjeu social ayant pour but de favoriser la sécurité des déplacements des individus durant la soirée. En ce sens, en 1816, les propriétaires de la partie ouest de la rue St-Paul vont acheter et faire installer 22 lampes afin d’y éclairer la rue. Par conséquent, certains propriétaires de la partie est de la rue St-Paul ainsi que Notre-Dame vont poursuivre cette même initiative[3].

L’élaboration de ce système d’éclairage public va prendre du temps à voir le jour, puisque dès février 1816, les membres de l’Assemblée législative du Bas-Canada débattent des moyens financiers nécessaires au financement d’un tel projet[4]. C’est donc le premier mai 1818 qu’est instauré un acte ayant pour but d’augmenter l’efficacité de la sûreté, dans les villes de Québec et de Montréal par l’établissement de guets et de flambeaux de nuit[5].

La présence d’une cinquantaine de pétitions me permet de constater une instrumentalisation du pouvoir en place par l’élite montréalaise afin d’obtenir des lampes devant leurs demeures[6]. Le processus d’attribution des lampes démontre les inégalités entre les différents quartiers de la ville. À l’aide des documents consultés, j’ai découvert que ce ne sont pas uniquement les membres de l’élite qui sont en mesure d’obtenir des lampes, puisque le réseau de lumière se met en place en fonction des différents lieux de loisirs et de divertissements tels que les tavernes, les auberges, les théâtres ainsi que devant certains commerces et boutiques[7].

La présence d’une cinquantaine de pétitions permet de constater une instrumentalisation du pouvoir en place par l’élite montréalaise.

En 1819, Montréal compte près de 174 lampes et l’administration constate qu’il serait nécessaire d’en ajouter près de 502, et ce aux frais des contribuables. Pour ce faire, il est question d’imposer les propriétaires de licences de maisons d’amusement public (tavernes, auberge, salle de billard)[8], les propriétaires de chiens, les marchands, les épiciers ainsi que les propriétaires fonciers[9]. Cependant, durant les vingt premières années de l’éclairage public, le nombre de lampes à l’huile demeure relativement stable, puisque l’on en retrouve 214 en 1840. En outre, la question du budget de l’éclairage demeure une préoccupation constante durant les premières années du système d’éclairage public, puisque les journaux nous démontrent la présence de plusieurs nuits d’obscurité totale où aucune lampe ne fut allumée en raison du manque de fonds pour l’éclairage des rues[10].

L’arrivée de l’éclairage au gaz en 1839 va grandement modifier le paysage urbain nocturne. Dans ces tablettes, Romuald Trudeau nous offre une description de l’utilisation du gaz: «Le dix septembre au soir, les rues de Montréal ont été pour la première fois illuminées par le gaz. Cette lumière est infiniment supérieure à celle produite par la combustion de l’huile. C’est une grande amélioration pour notre ville»[11]. Contrairement aux lampes à l’huile, les lampes au gaz seront installées de manière rationnelle et non plus simplement devant la propriété d’un individu. Il ne s’agit toutefois pas de l’avènement d’une démocratisation de l’éclairage, puisqu’il existe toujours des inégalités entre les différents quartiers résidentiels, commerciaux et les faubourgs de la ville.

L’arrivée de l’éclairage au gaz en 1839 va grandement modifier le paysage urbain nocturne.

Bien que la ville tente de favoriser le progrès, l’utilisation de l’huile de baleine[12] demeure une alternative au gaz. Le recours au cycle de la lune et à la lumière naturelle permet de limiter les coûts et les lampes devront être allumées vers 19 heures ou bien 20 heures selon le temps qu’il fait[13].

En 1840, Montréal compte près de 186 lampes au gaz et 214 lampes à l’huile. Tandis qu’en 1848, les archives me démontrent la présence de 382 lampes au gaz et 74 lampes à l’huile. La ville délaisse donc peu à peu l’utilisation de l’huile si les infrastructures du gaz sont disponibles.

En conclusion, l’éclairage public de la ville de Montréal se met en place en raison des multiples demandes de la part de l’élite bourgeoise afin d’éclairer d’une part leurs demeures, mais aussi de rendre sécuritaire leurs déplacements vers les différents lieux de loisirs et de divertissements de la ville.

Les deux autres parties de cette chronique sont disponibles ici: «Réguler le nocturne» et «Se divertir la nuit».


[1] Priscillia WAKEFIELD, Excursions in North America described in letters from a Gentleman and his young companion to their friends in England, London, Printed by Darton, Harvey and Darton, 1810, p. 289. (The Second Edition)

[2] Règles et règlements de police : avec les extraits des diverses ordonnances et statuts qui y ont rapport, Québec, Imprimé chez John Nielsen, 1811, p. 33-34.

[3] The Montreal Daily Star, 5 février 1881.

[4] Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, 26 janvier au 26 février 1816, Québec,  Imprimé chez John Neilson, p. 125-126

[5] Statuts provinciaux du Bas-Canada, George III, chap.2, 1818, p. 17.

[6] VM035 Fonds des Juges de paix de Montréal ; VM001 : Fonds du Conseil de ville de Montréal ; VM051 : Fonds Comité d’éclairage.

[7] VM035 Fonds des Juges de paix de Montréal ; VM001 : Fonds du Conseil de ville de Montréal ; VM051 : Fonds Comité d’éclairage.

[8] Journaux de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada, 26 janvier au 26 février 1816, Québec, Imprimé chez John Neilson, p. 125-126.

[9] VM035, Fonds Juges de Paix de Montréal, Les procédés des Session spéciales de la paix, Vol.4., p. 141-142.

[10] Canadian Courant/Montreal Adviser, 9 avril 1825.

[11] George AUBIN et Fernande ROY, Mes Tablettes, Journal d’un apothicaire montréalais, 1820-1850, Montréal, LÉMAC, 2016, p. 528.

[12] Hector Berthelot, Montréal : Le bon vieux temps p.75.

[13] VM001, Fonds Conseil de ville de Montréal, Procès verbaux, Vol.11.,  p. 47-50.

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