Un peu d’eau aura eu le temps de couler sous les ponts et entre les fissures de l’asphalte printanier fraîchement découvertes depuis ma dernière chronique ou la tentative de démystifier la perception péjorative donnée au genre musical dit populaire de sa définition réelle.
Au fil de mes pérégrinations suivant avec allégresse les flots de ma matière grise, j’ai néanmoins réalisé, en épluchant mes étagères remplies de disques, ou encore de livres, qu’il reste maintes œuvres populaires qui savent se détacher de toutes barrières et étiquettes. Ce sont celles-ci qui savent marquer les générations et qui se font composantes du scellant qui rejoint un père à son fils. Il est de mon avis que de grandes œuvres de ce type, peu importe le médium, sont essentielles à l’évolution saine d’une culture, locale comme mondiale.
Quand je parle ici des grands classiques, il y a une chose à ne pas omettre, c’est le bagage culturel de la personne qui la consomme. Aussi, un classique peut se vouloir personnel pour quelqu’un sans nécessairement l’être pour une société. Attardons-nous premièrement au classique à grande échelle.
De Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band à Ride the Lightning en passant par le mythique Dark Side of the Moon d’un groupe dont je n’ai pas besoin de vendre les mérites ni le nom, il va de soi qu’il se retrouve une pléthore de styles ainsi que diverses attitudes attribuées à ces albums. Nombre de ceux-ci se veulent porteurs d’idéologies, explicitées ou non dans les paroles des chansons qui parsèment l’album; idéologies qui, dit-on, fomentèrent des révolutions. Il est, je crois, difficile de réfuter le fait qu’Elvis a en grande partie contribué à la révolution sexuelle américaine, puis mondiale.
Par leur caractère mythique, ces albums peuvent également se faire porteurs de stéréotypes, de jugements préconçus d’un public peu averti. Ainsi, combien de fois aurez-vous entendu dire des membres de Pink Floyd qu’ils étaient «pas mal buzzés» pour en arriver à composer des musiques au caractère aussi planant. D’un côté, on enlève du crédit à l’artiste qui, dans un travail acharné, particulièrement au temps des enregistrements sur bobines, mettait toute sa concentration dans l’élaboration de sons nouveaux plutôt que dans la consommation de substances psychotropes. Pour les plus férus de la religion Floydienne, vous savez de toute façon déjà ce qui est arrivé au seul membre qui poussa trop loin ses expérimentations.
D’un autre côté, lorsqu’on ne discrédite pas l’artiste sans le vouloir, il reste néanmoins qu’en attribuant ce genre d’étiquette à un album, on peut se couper dans une exploration plus exhaustive de la mer infinie de la musique populaire. Hé oui, du plus buzzant que Pink Floyd, il y en a, et beaucoup. Je ne peux ici que vous suggérer, chers lecteurs, si ce n’est pas déjà fait, de regarder simplement ce qui se fait dans votre province et même dans votre région. Attardez-vous à l’émergence, vous serez parfois surpris de la grandeur de notre petitesse parfois.
D’ailleurs, parlant de localité, la question se pose: a-t-on des classiques intemporels ici au Québec? Il va de soi que oui. L’automne dernier, je vous avais d’ailleurs glissé quelques mots sur l’un des plus marquants albums de la Révolution tranquille, j’ai nommé ici Jaune de Jean-Pierre Ferland. En termes de constitution d’album à proprement dit en tant qu’unité, il est également à peu près impossible d’ignorer Harmonium. À trois albums studios tous sortis en moins d’une décennie, vous saurez trouver votre compte soit dans Harmonium, soit dans Si on avait besoin d’une cinquième saison, soit dans l’extrêmement travaillé long-jeu double de L’Heptade. Pour ma part, ce sont ces trois albums qui consistent, avec quelques autres, le haut de ma liste lorsqu’on en vient à parler de classiques intemporels québécois. Bien sûr, n’oublions pas ici ces grands de la chanson qui, sans travailler l’album comme une grande entité, savent marquer l’imaginaire à leur manière, je parle ici des incontournables Leclerc, Léveillé, Vigneault et autres grosses pointures. N’omettons d’ailleurs pas Charlebois qui, avant Harmonium, avant Beau Dommage et avant les débuts d’Offenbach, annonçait déjà de grands changements pour la culture québécoise.
Nombre d’albums se veulent porteurs d’idéologies, explicitées ou non dans les paroles des chansons qui les parsèment; idéologies qui, dit-on, fomentèrent des révolutions.
Depuis plusieurs lignes, je ne parle que de vieilles parutions dont vous connaissez tous la réputation, et c’est probablement ce qui soulève les questions suivantes à mon esprit: à partir de quand un album devient-il un classique? Est-ce lorsqu’il représente quelque chose de fort pour une collectivité importante. Est-ce dès sa sortie? Peut-on prévoir le passage à la postérité de ce genre d’élaboration artistique? À tout ça, je réponds que je ne sais pas, mais qu’il est toujours agréable d’essayer de prévoir la chose.
Sommes-nous encore à l’ère des classiques au Québec? Croyez-vous que dans leurs différentes élaborations complexes, les produits qui nous sont aujourd’hui offerts par les grosses pointures du monde musical d’ici ont encore la portée et la signifiance qui permettent de passer à l’histoire? Karkwa commence-t-il déjà à posséder une part de nostalgie assez grande pour marquer l’histoire de la musique québécoise?
Dur à dire lorsque nous avons encore le nez collé sur la vitre. Ainsi, mes tergiversations ne peuvent se conclure qu’avec une réponse: seul l’avenir nous le dira.