Tokyo fiancée
«Les leçons de français se confondaient avec une sorte de tour organisé de Tokyo.»
Adaptation du roman Ni d’Ève ni d’Adam d’Amélie Nothomb, Tokyo fiancée correspond en tout point à ce qu’il convient d’appeler un «petit film agréable». Sans jamais forcer la réflexion ni prétendre à autre chose qu’une approche en douce de la culture nippone, le film amuse et séduit par ses contours enfantins et par l’«occidentalité» de son regard sur le Japon moderne.
Du roman, Stefan Liberski a su conserver le ton et l’humour de Nothomb tout en profitant des avantages du médium visuel pour visiter Tokyo. La perte de contenu engendrée par le transfert du roman au cinéma se voit ainsi compensée par la possibilité d’apprécier Tokyo à l’œil nu, de jour comme de nuit. De la machine à pizza au temple shintoïste, le film accumule ainsi les «curiosités» culturelles tout en mettant en évidence les incompréhensions inhérentes au choc des civilisations, ce qui n’est pas sans rappeler les limites liées à notre propre culture et à nos propres codes sociaux. L’œuvre conserve de cette façon le message initial du roman, qui est que les cultures peuvent s’aimer sans nécessairement se comprendre.
Le tout demeure présenté en légèreté, manifeste dans le jeu des acteurs (Pauline Étienne et Taichie Inoue) et dans l’abondance des clins d’œil cinématographiques (raccords suresthétisés sur fond de musique traditionnelle, chanson pop style manga). Sans effectuer d’acrobaties ni prendre de grands risques, la réalisation réussit malgré tout à fournir au scénario les couleurs nécessaires pour bien envelopper le récit, plutôt simple en lui-même. En ce point, force est d’admettre que le retrait de la séquence du Mont Fuji (moment charnière du roman) et la modification de la fin originale (remplacée par une fin un peu vague) contribuent malheureusement à affaiblir la profondeur de la trame narrative, la reléguant au rang des surabondantes amourettes d’été.
Malgré ce défaut de découpage du texte, Tokyo fiancée demeure un film aimable pouvant plaire autant aux amateurs de Nothomb qu’aux non-initiés. Sans être une révélation ni un incontournable, le film constitue malgré tout un excellent moyen de saluer l’arrivée du printemps et l’ouverture de la période des voyages.
Félix et Meira
«Je n’ai pas le droit de regarder les hommes dans les yeux.»
Dans la même lignée que Tokyo fiancée, Félix et Meira présente une histoire d’amour issue d’une rencontre des cultures, unissant cette fois un Québécois pure souche à une juive hassidique de Montréal. Incursion au sein de la vie d’une communauté dont on ignore encore beaucoup les traits, le film soulève plusieurs questions sur la liberté sans toutefois verser dans le jugement ou dans la condamnation.
Bien qu’évitant soigneusement de lancer un tribunal des mœurs, Maxime Giroux s’est appliqué pour son film à défendre la possibilité du choix face aux exigences des communautés. En mettant en scène une jeune femme (Hadas Yaron) désireuse de s’affranchir du rôle qui lui est imparti, le réalisateur ouvre un questionnement habile non pas sur les préceptes de l’hassidisme, mais plutôt sur l’imposition de tout mode de vie à l’individu (le personnage de Martin Dubreuil étant lui-même en lutte avec les traces à suivre de son père). Si le film ne donne au final aucune réponse véritable aux questions qu’il soulève, la tension présente en conclusion a toutefois pour mérite de laisser le spectateur réfléchir sur la responsabilité et sur les sacrifices à poser pour vivre sa propre vie, ce qui n’est évidemment jamais de trop.
Le film est dans son ensemble très joli et possède plusieurs moments forts, comme la discussion des rivaux et la scène du jean qui, chacune à leur manière, viennent donner à l’œuvre son humanité. Dans les rôles de Félix, Meira et Shulem, le trio Dubreuil, Yaron et Twersky se révèle à point par un jeu épuré et enrichi de non-dits. La direction d’acteur est à ce niveau pleinement réussie, ce qui constitue un défi non négligeable considérant la diversité des mœurs et des langages (yiddish, anglais partiel, français cassé) mise en œuvre dans le film.
Un seul défaut majeur peut être relevé. Alors que le scénario fait preuve d’un équilibrage intelligent pour ne pas avilir la communauté hassidique, celui-ci se voit simultanément troué de raccourcis décevants, parmi lesquels se rangent la trop grande facilité des premiers contacts entre les protagonistes (à laquelle on peut difficilement croire) et la résolution de l’enjeu dramatique permise au final par l’abondance d’argent de Félix. Dans les deux cas, ces faiblesses d’écriture ont pour conséquence de rappeler au spectateur que ce qui lui est présenté n’est qu’un film, maintenant ainsi une distance entre lui et le récit.
Bien qu’imparfait scénaristiquement, Félix et Meira est une œuvre intéressante permettant de questionner les ignorances entretenues dans les sociétés pluralistes, nous rappelant en dernière instance que l’autre n’est jamais bien loin.
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Prochainement au Cinéma Le Tapis Rouge:
Les nouveaux sauvages de Damian Szifron (à partir du 10 mars – Comédie argentino-espagnole nommée aux Oscars 2015 pour meilleur film en langue étrangère)
Chorus de Fançois Delisle (à partir du 13 mars – Drame québécois mettant en vedette Fanny Mallette et Sébastien Ricard)
Le promeneur d’oiseau de Philippe Muyl (à partir du 20 mars – Comédie dramatique franco-chinoise)