Wild
«Happy trail Cheryl.»
Après le succès retentissant de son Dallas Buyers Club, Jean-Marc Vallée nous revient avec Wild, une histoire de dépassement et d’amour mère-fille mettant en vedette Reese Witherspoon et Laura Dern. Inspiré des mémoires de Cheryl Strayed, intitulés Wild: From Lost to Found on the Pacific Crest Trail, le film relate l’immense randonnée réalisée par Strayed au creux de sa vie, expérience qui la conduira à réfléchir sur elle-même et sur le sens de l’épreuve humaine.
Film agréable et apaisant malgré ses tempêtes, Wild se révèle un exercice pleinement réussi. Suivant la mode actuelle du retour à la nature, le film nous présente dans un format épuré, sans abus de musique ou d’effets visuels, une succession de panoramas absolument fabuleux issus des paysages sauvages de l’Oregon et de la Californie, tout en fournissant au spectateur une immersion dans le rythme intérieur d’une femme aux prises avec la solitude, l’adversité et les réminiscences du passé. À ce niveau, la caractérisation du personnage et la structuration du récit se révèlent hautement efficaces et parviennent à transformer une simple expédition en véritable aventure intérieure, à laquelle le spectateur peut aisément se greffer.
Sans soumettre de véritables réponses aux questions qu’il ouvre concernant l’absurdité de la vie et de l’effort pour vivre, le film nous offre du moins un témoignage senti et inspirant d’une survivante, rendu avec beaucoup de sensibilité et de ténacité par Reese Witherspoon. Au soutien, Lara Dern (la mère de Cheryl) et Thomas Sadoski (l’ex-mari) offrent des performances tout aussi appréciables, notamment dans leur capacité à rendre avec beaucoup de justesses les réactions contrôlées que peuvent prendre mère et mari lorsque confrontés à ceux qu’ils aiment.
On notera au final que si le film, voulu le plus fidèle possible aux mémoires de la véritable Cheryl Strayed, constitue un récit un peu plat en termes d’évolution narrative, le tout se voit toutefois compensé par le gain de crédibilité que fournit ce choix de lecture (les scènes où plane la menace d’une agression sexuelle par exemple, ou encore celle du jeune garçon chantant dans les bois). En soulignant le lien intemporel unissant les survivants au défunt et le poids que peuvent peser les épreuves gérées trop partiellement, Wild invite ainsi à prendre le temps de se sonder soi-même, et à se fournir les possibilités pour réellement le faire.
Deux jours, une nuit
«La prime, c’est parce qu’on a bossé qu’on l’a.»
Dans leur dernier film, mettant en scène une jeune mère obligée de solliciter ses collègues pour conserver son travail en échange de leur prime, les frères Dardenne nous offrent un regard appliqué sur la dépression, sur les difficultés du petit salariat et sur les limites de la solidarité humaine dans les sociétés néo-libérales. Dans un style vidé de toute recherche esthétique, les co-réalisateurs et co-scénaristes signent une œuvre qui force à réfléchir sérieusement sur la déresponsabilisation morale et sur la valeur réelle de l’argent.
Filmé à l’aide de nombreux plans séquences, par une caméra chevrotante, puis monté sans recourir à aucune trame musicale externe, Deux jours, une nuit apparaît en plusieurs occasions comme un épisode tiré d’une vie réelle, effet que les réalisateurs se sont appliqués à produire avec beaucoup de soins (conversations interrompues, obstacles de la vie commune, situations toutes vraisemblables). Si ce choix du simple peut engendrer au début du film un certain désintérêt, ce dernier s’avère au final des plus pertinents par sa capacité à renforcer chez le spectateur le sentiment d’assister à une problématique sociale bien réelle et non pas seulement à une invention fictive vouée à l’observation désengagée. Ici sans doute pouvons-nous trouver la principale force et le premier intérêt du film: en exploitant un problème éthique de manière tout à fait accessible et tout à fait vraisemblable, les frères Dardenne offrent l’occasion aux spectateurs de se questionner sur les choix qu’eux-mêmes feraient en une telle situation, ce qui est déjà une grande réussite pour toute forme de cinéma social.
Placés au centre du film, les échanges entre les personnages démontrent à eux seuls l’intelligence du travail investi par la réalisation et par les acteurs alors que tout excédent de jeu théâtralisé a été retiré aux bénéfices d’interaction pure et franche. Cotillard offre à ce sujet une véritable prestation de normalité, d’une douleur et d’élans de faiblesse vrais, qui lui vaut amplement sa nomination aux Oscars.
Petit drame à portée universelle, Deux jours, une nuit se révèle en somme tout sauf un divertissement conventionnel: pour apprécier l’expérience, il faut chercher à s’y voir réellement.
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Prochainement au Cinéma Le Tapis Rouge:
Foxcatcher de Bennett Miller (à partir du 23 janvier en version française et du 28 janvier en version originale anglaise – drame biographique américain récipiendaire du prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2014 et nommé dans 5 catégories aux Oscar 2015)
M. Turner de Mike Leigh (à partir du 30 janvier – drame biographique anglais nommé dans 4 catégories aux Oscar 2015)
Leviathan d’Andrey Zviaguintsev (à partir du 6 février – drame russe récipiendaire du prix du scénario au Festival de Cannes 2014 et nommé dans la catégorie « Meilleur film étranger » aux Oscar 2015)