Dans les lunettes du frisé: Une boréale noire

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Panorama, le troisième opus de Tire le coyote, le projet de Benoit Pinette. Photo: Courtoisie
Panorama, le troisième opus de Tire le coyote, le projet de Benoit Pinette. Photo: Courtoisie

La dernière fois qu’on s’est vu, ce fut bref. Très bref. J’étais dans le jus, j’avais pas beaucoup de temps pour te parler. Tes mots, par contre, résonnent toujours dans ma tête, comme un printemps qui tarde, mais que son attente donne au moins un peu d’espérance. Tu m’as dit: «J’vais te prendre une boréale noire s’te-plaît.» T’as lancé ça sur le même ton, avec ton sourire contagieux et ton accent du Saguenay qui ne provient pas du Saguenay, mais plutôt de Saint-Ignace-de-Loyola. Comme tous les autres lundis soirs, je t’ai servi une bière, sauf que ce lundi 9 février allait être ta dernière boréale noire.

Ta disparition semble être passée inaperçue, comme une note de piano trop parfaitement jouée ou encore un souvenir qui quitte la mémoire. Peut-être sommes-nous tous de simples mélodies qui s’étiolent, qui se perdent dans la musique du monde. Mais sache, Olivier, que cette chronique est pour toi. Tu ne pourras pas la lire ni la commenter, et tu ne pourras pas m’en parler lundi soir prochain en sirotant ta boréale noire, comme tu le faisais si souvent en me disant que toi aussi tu avais des choses à dire et que tu joindrais l’équipe du Zone Campus dès l’automne prochain. Désormais, les bières noires n’auront plus jamais le même goût. À la tienne.

*

Un soir début février j’ai reçu par la poste un disque d’un ami. (By the way, qui fait encore ça, envoyer un disque par la poste ? Wtf ? En tout cas.) J’ouvre l’enveloppe, et à ma grande surprise: Panorama, le troisième opus de Tire le coyote. Aucune idée c’était qui ou quoi. J’ai su en furetant sur les internets que c’était, comme Béatrice Martin alias Cœur de Pirate, le projet solo d’un artiste barbu nommé Benoit Pinette. Le parallèle entre les deux artistes s’arrête là. Le reste est une autre histoire.

Entre riffs de guitare, musique folk qui tirent sur le country et harmonica nostalgique, les textes de Pinette se tissent un chemin dans la poésie. Chantant le territoire québécois, des histoires de cœurs et la mélancolie d’une identité déchirée, Pinette exploite fièrement une langue typiquement québécoise avec des tournures du type «Pourquoi les traces de breaks, des barbeaux s’évachent sur ton ego?» dans la chanson Jolie Anne ou encore en comparant l’amour éprouvé pour une femme à la révolution québécoise des années 1970 dans sa chanson Ma Révolution tranquille : «Voudrais-tu devenir ma Révolution tranquille? Ton cœur est un si beau pays».

Outre sa poésie touchante, sa guitare sèche et ses textures sonores country, Pinette frappe l’imaginaire avec sa voix particulière: une voix qui oscille entre douceur et robustesse, entre féminité et masculinité. Cette voix s’allie drôlement bien aux lancinantes mélodies qui jalonnent l’entièreté de l’album.

Un rapport au territoire

J’avais envie de parler de Tire le coyote pour maintes raisons, particulièrement pour celle-ci: le rapport au territoire québécois. Dans la littérature, on ne peut faire abstraction du rapport de l’auteur au territoire. Par exemple, la vastitude territoriale et la liberté qui l’accompagne ponctuent une majorité des écrits, pour ne pas dire l’entièreté de la production du 19e siècle au Québec. Dans un contexte plus contemporain, l’auteur Robert Lalonde, ou encore Jacques Poulin, s’approprient les espaces québécois par la nature pour Lalonde et la route pour Poulin.

Pinette me ramène à ma québécitude et l’instant d’un moment me fait rêver en me chuchotant à l’oreille qu’il y en a encore espoir.

Dans la chanson québécoise, ça m’apparaît différent, mais pas pour Pinette. Dans son Panorama, l’amour ne peut être chanté sans aborder le pays ou sa moissonneuse-batteuse. La tristesse doit être scalpée, comme le faisaient les autochtones, et dénaturée par une musique nostalgique et un texte mélancolique. Le Saint-Laurent s’avère être un lieu de refuge, un lieu paisible et de confort. La perte de repères doit être lyrisée par la disparition de l’ancêtre ou encore par un héritage qui traîne de la patte.

Devant les insultes d’un premier ministre pour l’institution nécessaire de Radio-Canada qui semble être un «repère de gauchistes» selon ses dires, devant l’argent qui se fait de plus en plus rare pour la majorité, mais de plus en plus ample pour la minorité, devant ce monde qui se démantibule sous nos yeux, et quand on se lève pour le dire, on se fait rasseoir, et bien Pinette me ramène à ma québécitude et l’instant d’un moment me fait rêver en me chuchotant à l’oreille qu’il y en a encore espoir. Des gens chantent encore des valeurs qui puissent me ressembler éphémèrement.

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