Alors que c’est par centaines de millions que nos gouvernements investissent pour amener Internet haute vitesse dans les foyers québécois et canadiens, chez nos voisins du sud, une décision récente ouvre la voie à un Internet à vitesse variable. Et le monde de l’éducation s’en inquiète.
Notre économie est basée sur la compétitivité. Internet s’est cependant toujours voulu un espace où le principe de neutralité primait. L’information y circule librement, sans égard à la source, à la destination ou à la nature du contenu. Or, le 14 décembre dernier, la Federal Communications Commission (FCC), équivalent américain du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), annonçait la fin de ce principe de neutralité. Désormais, les fournisseurs pourront réguler la vitesse de circulation des informations, voire la bloquer, ce qui ouvre la porte à une tarification à la pièce sur les droits de circuler.
Si les défenseurs d’une compétitivité ouverte entrevoient de potentiels gains pour le consommateur, certains craignent de voir l’émergence d’un Internet où seuls les plus gros joueurs pourront survivre. Le magazine Wired, dans un commentaire vidéo, s’inquiète de voir les gens payer pour accéder à du contenu et dit craindre une entrave à l’innovation.
Le monde de l’éducation n’est pas en reste. Un mémoire rédigé par un groupe d’acteur.ice.s du monde de l’éducation supérieure américaine a été déposé devant le FCC. Le document exprime plusieurs inquiétudes face à la décision, ainsi que ses possibles impacts sur le monde universitaire et celui de la recherche. On y fait valoir que les principes d’ouverture, de recherche, d’apprentissage et de libre expression ont guidé le développement d’Internet. Ces valeurs sont aussi intrinsèquement liées à la mission sociale de l’enseignement supérieur, laquelle ne peut être garantie aujourd’hui que par le maintien de la neutralité d’Internet, soutiennent les auteurs du document.
Les principes d’ouverture, de recherche, d’apprentissage et de libre expression ont guidé le développement d’Internet et sont aussi intrinsèquement liés à la mission sociale de l’enseignement supérieur.
Pour Mathieu Bouchard, du Bureau de pédagogie et de formation à distance de l’Université du Québec à Trois-Rivières, il est clair que la fin de neutralité d’Internet au Canada modifierait le monde universitaire. L’apparition de forfaits à la carte pourrait avoir un impact direct sur les frais d’inscription, «puisque l’université se doit d’offrir une couverture WiFi à haute vitesse» fait-il valoir. M. Bouchard s’inquiète aussi des enjeux liés à la formation à distance: «plusieurs cours se donnent en vidéoconférence un peu partout à travers le Québec. Un Internet «à deux vitesses» pourrait pénaliser certains usagers et occasionner une baisse de qualité de la connexion, ou même l’impossibilité d’utiliser certains services selon le forfait auquel ils adhèrent».
Les bibliothèques universitaires ont aussi connu une profonde mutation depuis l’arrivée d’Internet. Selon Mathieu Bouchard, «les collections sont de plus en plus accessibles en ligne, là encore une connexion Internet de qualité est nécessaire pour avoir accès au matériel et visionner du contenu audiovisuel de haute qualité.»
L’apparition de forfaits à la carte pourrait avoir un impact direct sur les frais d’inscription à l’université.
Le gouvernement Trudeau a énoncé à plusieurs reprises son intention de ne pas remettre en cause la neutralité d’Internet. Notons cependant qu’un nouveau patron est en poste au CRTC, et les observateur.ice.s peinent à cerner sa position sur l’enjeu. D’autre part, les grands fournisseurs d’accès Internet canadiens revendiquent de façon récurrente un assouplissement des règles. Considérant enfin qu’une bonne partie de notre trafic Internet transite par les États-Unis, d’aucuns jugent illusoire de penser que la décision américaine sera sans conséquence chez nous.
Pierre Elliott Trudeau avait cet aphorisme pour décrire notre relation avec nos voisins du sud: «Être votre voisin, c’est comme dormir avec un éléphant. Quelque douce et placide que soit la bête, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements». La décision du FCC a été portée devant les tribunaux. L’histoire est à suivre.
Dans ce baladodiffusion, il est possible d’entendre Mathieu Bouchard (vers la quatrième minute).