À l’hiver 2011, j’étais à Caen en Basse-Normandie (une ville rasée à 80% lors de la Seconde Guerre mondiale, située au nord-ouest de la France, entre la Bretagne et la Picardie) pour terminer mon baccalauréat en philosophie. Voici quelques savoureuses anecdotes linguistiques issues de mon voyage.
La Normandie est beaucoup plus francophone que Paris, car à ma grande joie, rares y sont les anglicismes, alors que dans la capitale foisonnent des shopping, footing, style, week-end, etc. En fait, à Caen, j’ai davantage entendu d’italien, d’allemand, de polonais et de russe que d’anglais! Ça faisait du bien…
Par contre, il y a des mots ou des expressions québécoises qu’on ne comprend pas là-bas : «tantôt» (utilisé en Normandie pour l’après-midi précisément, alors que nous, c’est autant au passé qu’au présent, peu importe le moment de la journée), «dans le fond» (qui veut dire «en vérité»), «de même» («comme ça»), «jaser» (concerne davantage une rumeur, un bruit qui court plutôt qu’une simple discussion), «ça porte là-d’sus» (incompréhensible pour certains), «facque» ou «fak là» (est en fait l’équivalent de l’expression française «du coup» utilisé à toutes les trois phrases…), «tanner quelqu’un» (c’est plutôt «taquiner» ou «agacer»), «rigodon» ou «rigaudon» (un reel musical), «ayoye» («ouch»), «salle de bain» (inexistante là-bas)!
D’autres expressions n’existent pas et doivent être remplacées par leur équivalent. Il faut dire «bonnet» de bain, et non un casque. «En ce moment», plutôt que «présentement». «Soirée festive» plutôt que l’anglicisme party. «Tire-bouchon» ou «décapsuleur», pas un ouvre-bouteille! «Après-shampoing», pas du revitalisant. «Supermarché» plutôt qu’«épicerie» ou encore moins «dépanneur»! «Gribouillis» plutôt qu’un «barbot», ce dessin fait par un enfant.
Par contre, ils comprennent le sens de «frette» et «être un apprenti», une expression datant de la Nouvelle-France, toujours valable. Un ami normand me racontait que sa grand-mère disait encore «toé tout» pour signifier «toi aussi» et que l’expression «il y a belle lurette» («il y a longtemps») est très utilisée ici. De plus, la phrase typiquement normande «p’t-être ben que oui, p’t-être ben que non» est assez connue chez-nous.
Mais j’ai aussi pris conscience de certaines expressions spécifiquement québécoises : «lâche pas la patate» (dans le sens de «persévérer»), «qu’est-ce que ça mange en hiver?» (pour demander davantage d’explications), «belle à en faire bander un prêtre», «Saint-Clin-Clin-des-Meuh-Meuh» (pour parler d’un lieu lointain, alors que les Normands utiliseraient «Perlimpin-Paul-les-Ouines»), mais il existe aussi là-bas la Saint-Glin-Glin pour parler d’un évènement «remis aux calendres grecques» («qui n’arrivera jamais»), «à la revoyure» (salutation sympathique), «prends soin de toi» (formule de politesse inconnue en Normandie), «rare comme de la marde de pape» (désignant quelque chose de rare)…
Précisons que «chauffer» n’est pas la signification normande de «séduire», alors ils rigolent tous en disant qu’au Québec on peut «chauffer un char»! Faut dire que chaque région a sa propre langue. Seulement en Normandie, il y a 14 dialectes différents, divisés en deux grandes familles : ceux «des côtes», d’origine scandinave où tous les «ch» deviennent des «k», ou ceux «des terres» où l’accent sur les «o» et les «a» est plus prononcé et où les «anciens» roulent les «r», un peu à l’espagnole ou comme dans certaines régions du Québec.
Spécifiquement normand : une «carre» est un coin. Une «clanche» est une poignée de porte. «Passer la toile», c’est passer la serpillère. Un «queutard» est celui qui veut juste avoir du sexe dans les festivals de musique. «Mastoc», c’est une carrure plutôt masculine. «Ratroucher», c’est racler (une assiette). «Guincher», c’est danser. «Pignoler», c’est se masturber (pour un homme). Un «branquignol», c’est un imbécile, un pas futé, ou encore un «baltringue». «Bacouetter» ou «causer» pour parler, discuter. «Claquos», c’est du fromage et «calendos», c’est du camembert, une spécialité du coin. «Blaude» normande, c’est l’habit traditionnel. «Civière», «berrouette» ou «beursaoule», c’est une brouette (avec laquelle on ramenait les gens saouls à leur domicile). «Bourin» est une brute, qui ne contrôle pas sa force. «Heula», difficilement traduisible, mais très utilisé comme les «là, là» du Lac-St-Jean… c’est même devenu un slogan normand dans une marque touristique!
J’ai aussi rencontré un habitant de Falaise (un Falaisien) où l’influence disons bohême (manouche) a fait émerger les verbes du 4e groupe : en «ave»! «Choukrave»: voler, «pillave»: boire, «criave»: manger, «bouillave»: baiser, «gadji/gadjo»: fille/garçon, «chokel»: chien, «wago»: voiture (donc ils mettent le «chokel» dans le «wago»), «ratcho»: radin, avare, et «atimoré» : comment ça va.
Puis, on ne pourrait pas parler de langue sans évoquer de blasphèmes et d’insultes! Après mûre réflexion, j’ai découvert les nombreuses utilisations d’un sacre dans la langue québécoise : défoulement, colère, intimidation, exagération, insulte, mettre l’emphase, qualificatif, faire choquer, etc. Ah, vive cette langue française et ses alléchantes différences!