Je me souviens… Au pouvoir, citoyens!: Le «Canada» n’a pas 150 ans! (partie 4 /5)

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Photo: Mathieu Plante
Photo: Mathieu Plante

Nous avons déjà vu en quoi le régime parlementaire imposé par Londres et instauré en 1791 était un simulacre de démocratie. J’expliquerai maintenant pour quels motifs la nation du Bas-Canada (le Québec d’alors) s’est affirmée il y a 180 ans dans une tentative révolutionnaire, en 1837-1838.

Tout d’abord, dès 1810, un premier projet d’union des deux provinces du Canada (Haut-Canada et Bas-Canada) fait scandale, à cause de son objectif d’assimilation des Canadiens français. Après la deuxième tentative d’invasion du Canada par les États-Unis pour l’annexer, la guerre anglo-américaine (1812-14) prend fin. Le sort en est jeté, le Canada sera britannique. La frontière entre l’Amérique du Nord britannique et les États-Unis est d’ailleurs établie en 1818 au 49e parallèle.

Le 22 juin 1822, un complot constitutionnel des Britanniques de Montréal est mis en échec au Parlement de Westminster en Angleterre. Ce deuxième projet d’union fut également dénoncé par le Parti Canadien, qui lance dans les campagnes une pétition signée par des milliers d’habitants.

En octobre se rassemblent à Montréal les opposants au projet d’union: seigneurs, curés, grands propriétaires, marchands, professionnels et notables. Même le haut clergé, dont Mgr J.-Octave Plessis, se range de leur côté. En 1823, les deux députés patriotes Papineau et Neilson vont à Londres avec une pétition de 60 000 signatures, et s’assurent que ce projet sera enfin abandonné.

De Parti Canadien à Parti Patriote

Pendant ce temps, en 1815, Louis-Joseph Papineau devient président de l’Assemblée législative du Bas-Canada (il le sera jusqu’aux Rébellions de 1837-38) et prend aussi la tête du Parti Canadien. En 1826, celui-ci devient le Parti Patriote, majoritaire à l’Assemblée dès le début des années 1830.

Les sympathisants nationalistes chantent toujours le Canada comme leur seule et unique patrie. Vers 1827-1829, Joseph-Isidore Bédard compose «Sol canadien, terre chérie». En février 1832, à l’occasion d’un banquet, Ludger Duvernay compose et chante «Avant tout je suis Canadien». Trois mois plus tard, le 21 mai, pour des funérailles de trois civils tués lors d’une élection, on chante alors «La Marseillaise canadienne». Le 24 juin 1834, lors du premier banquet organisé à Montréal par Ludger Duvernay pour la fête nationale des Canadiens français (la St-Jean-Baptiste), le jeune patriote George-Étienne Cartier, âgé de seulement 19 ans, compose «Ô Canada! mon pays, mes amours». Le 4 octobre 1837, les Fils de la Liberté ont même un «Hymne national pour le Canada»!

Les Patriotes chantent le Canada comme leur seule et unique patrie.

Les raisons de la colère

La politique du Parti Patriote lutte entre autres contre la collusion et le favoritisme dans l’attribution des postes de fonctionnaires et dénonce tous les excès du conseil législatif et exécutif, nommés par le gouverneur. Plusieurs fonctionnaires refusent de parler la langue du peuple, le français, ou détournent à leur profit personnel les fonds de l’État en donnant, par exemple, des emplois à tous leurs fils.

Face aux abus du pouvoir colonial, la société canadienne est mûre pour l’indépendance politique. Au printemps 1834, le Parti Patriote présente ses 92 Résolutions – une compilation de griefs basés sur le mécontentement du peuple – et se fait élire à l’automne suivant avec ce programme. Les Patriotes défendent notamment l’égalité de tous les citoyens, exigent la responsabilité ministérielle et l’élection des membres du Conseil, réclament que l’Assemblée législative contrôle le budget et puisse faire des enquêtes, et veulent en finir avec la sous-représentation des Canadiens français dans la fonction publique et dans l’administration du pays. C’est un balayage électoral complet, les Patriotes remportent 94% du vote populaire (77 sièges sur 88).

La répression d’un peuple

Malgré cette grande leçon de démocratie, appuyée par des centaines d’assemblées patriotiques populaires pendant tout l’été 1837, les choses tournent mal en octobre, lorsque les défenseurs de l’autorité britannique attaquent les Patriotes dans les rues de Montréal. Ils les poursuivent en engageant des batailles à St-Denis, St-Charles et St-Eustache. Le 28 février 1838, exilés aux États-Unis, les Patriotes répliquent par la voix de Robert Nelson, chef du gouvernement provisoire, en traversant la frontière canadienne pour déclarer l’indépendance de la République du Bas-Canada.

À l’automne 1838, le mouvement est brutalement réprimé par les soldats anglais et les loyalistes au roi d’Angleterre. Le bilan est très lourd. Au total, 158 Patriotes furent tués et 142 blessés, contre 22 soldats et miliciens britanniques tués et 43 blessés. Parmi les 1000 Bas-Canadiens emprisonnés pour «haute trahison», on compte soixante Patriotes exilés, deux bannis, 99 condamnés à morts par une cour martiale (composée d’officiers britanniques) dont 12 seront pendus publiquement à la Prison-Neuve de Montréal – incluant un député – ainsi que plusieurs villages incendiés, des centaines de maisons pillées, des familles à la rue, des viols et j’en passe.

De Cartier à Papineau, les Canadiens, c’était nous avant eux.

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En tant que chef, Papineau devient la figure emblématique du mouvement insurrectionnel. Le 1er mai 1839, en plein exil à Paris, il publie dans La Revue du progrès, son Histoire de la résistance du Canada au gouvernement anglais. Le mois suivant, le texte est repris par Ludger Duvernay, lui aussi en exil à Burlington, au Vermont. Il imprime le texte sous un nouveau titre, souvent réédité depuis ainsi: Histoire de l’insurrection du Canada en réfutation du Rapport de Lord Durham.

Si Ottawa veut souligner quelque chose, que le gouvernement fédéral de Trudeau fils s’intéresse d’abord aux origines manifestement françaises du Canada, ou bien au sombre bilan de la répression sanglante de la révolte populaire de 1837-38. Qu’il n’ose pas dire qu’il veut célébrer les «150 ans du Canada»! De Cartier à Papineau, nous avons bien vu que les Canadiens, c’était nous avant eux.

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