
Au cours de mes (longues) années d’activité au Zone Campus, j’ai eu l’occasion d’étudier de près l’épineuse problématique de l’écriture inclusive. Et il s’agit d’un sujet tellement malmené auprès du grand public que je profite de cette ultime chronique pour rappeler que non, l’écriture inclusive, ça n’est pas forcément «ajouter des points médians partout».
Petit rappel historique
L’écriture inclusive remet en question la sacro-sainte règle grammaticale affirmant que «le masculin l’emporte sur le féminin». Elle refuse de considérer que le genre masculin représente également le genre neutre, par défaut, dont le féminin ne serait que la variation.
Plusieurs de ses adversaires rétorquent à cela que la grammaire n’a rien à voir avec le genre d’une personne. Après tout, en français, on accorde aussi au féminin les tables, les chaises et autres choses dépourvues de genre au sens sociologique. Mais c’est oublier un peu vite que la prédominance du masculin sur le féminin, héritée de l’Académie française, visait bel et bien à invisibiliser les femmes en masculinisant la langue française.
Et voilà pourquoi les professeuses, philosophesses et autres peintresses ont disparu des dictionnaires au 17e siècle. Voilà pourquoi des absurdités comme «madame le président» ou «madame le maire» sont encore défendues bec et ongles par l’Académie française. Notons que le Québec est plus en avance que la France sur le sujet, puisque l’OQLF recommande l’utilisation de la rédaction épicène depuis le début des années 1980 et propose d’ailleurs des listes de noms féminisés.
Voilà comment les professeuses, philosophesses et autres peintresses ont disparu des dictionnaires.
En ce sens, l’utilisation de l’écriture inclusive vise à compenser une injustice vieille de près de quatre siècles. Il y a de quoi relativiser le fameux argument selon lequel ses adeptes massacrent la langue française en la forçant à rentrer dans le dernier cadre idéologique à la mode.
Le point médian qui cache la forêt
Pour avoir vu passer nombre de débats sur le sujet, j’en retire l’impression que lorsqu’on parle d’écriture inclusive, la plupart des gens pensent aussitôt «point médian». Ou du moins, la plupart des gens visualisent des mots tels que «étudiant·e·s», «professeur·e·s», etc. Et tout de suite, le couperet tombe: c’est lette, c’est pas pratique, on ne sait jamais comment prononcer ça à voix haute…
Toutes considérations esthétiques mises à part, certains arguments sont à prendre en compte, comme les difficultés qu’éprouvent les personnes dyslexiques face à ce genre de graphie, ou les problèmes techniques rencontrés par les logiciels de synthèse vocale. Si en cherchant à rendre la langue inclusive, on finit par exclure d’autres personnes, c’est qu’il y a un problème.
Si en cherchant à rendre la langue inclusive, on exclut d’autres personnes, c’est qu’il y a un problème.
Néanmoins, si le point médian est bel et bien l’un des procédés de l’écriture inclusive,
- il n’est pas toujours utilisé et;
- il ne représente pas sa seule application.
Le point médian marque ce que l’on appelle les doublets abrégés. Parfois, on utilise à la place d’autres ponctuations plus faciles à trouver sur un clavier:
- Le point bas classique: étudiant.e.s, professeur.e.s
- Les tirets: étudiant-e-s, professeur-e-s
- Les majuscules (procédé maintenant utilisé par le Zone Campus): étudiantEs, professeurEs
- Les parenthèses: étudiant(e)s, professeur(e)s
On notera au passage que l’utilisation des doublets abrégés n’est pas neuve, mais qu’auparavant, on utilisait plutôt les parenthèses. D’ailleurs, contrairement au point médian, cela n’a curieusement jamais été perçu comme un péril mortel pour la langue française.
S’adapter au contexte
Pour ma part, point médian ou pas, les doublets abrégés, j’haïs ça pour mourir (vous avez peut-être remarqué que j’en utilise le moins souvent possible dans mes chroniques). Je préfère largement les doublets complets (étudiantes et étudiants, professeurs et professeures). Mais ceux-ci ont pour inconvénient de rendre pénibles les longues énumérations, ainsi que d’exclure les personnes non-binaires. On peut alors utiliser un nom collectif (la population étudiante, le corps enseignant), qui cause parfois le désavantage de dépersonnaliser le propos…
L’important, c’est de s’adapter au contexte et au public visé.
Bref, vous me voyez venir: il existe un certain nombre de techniques d’écriture inclusive, et toutes n’ont pas forcément la même portée ni les mêmes avantages. Certaines cherchent à rendre le féminin le plus visible possible, tandis que d’autres priorisent avant tout l’inclusion des personnes non-binaires. Il n’y a pas toujours de solution idéale. L’important, c’est de savoir s’adapter au contexte et au public visé: on n’utilisera pas les mêmes procédés si l’on rédige un roman, un article pour le Zone Campus ou une offre d’emploi.
Aussi, on reproche souvent aux textes rédigés en écriture inclusive d’être lourds à la lecture. Pour en avoir écrit et corrigé un assez grand nombre, je peux confirmer que c’est vrai… lorsque le texte a été d’abord rédigé au masculin générique. Si l’on tient compte des enjeux d’inclusivité dès la rédaction, le style s’allège considérablement.
L’écriture inclusive est encore un processus en pleine évolution. Dès lors, il semble normal que l’on assiste à de nombreuses expérimentations et que toutes ne soient pas toujours réussies. À mon sens, cela ne suffit pas pour autant à menacer la langue française. On peut raisonnablement supposer que certaines techniques d’écriture inclusive vont s’implanter durablement, que d’autres, aujourd’hui imparfaites, vont s’améliorer peu à peu, tandis que d’autres encore finiront par disparaître. Mais on peut déjà parier que c’est le temps qui fera le tri, et pas l’Académie française.