La plume de travers : La grande Marie ou le luxe de sainteté

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Étienne Gélinas : La plume de travers. Crédit : Sarah Gardner.

La chronique de cette semaine sera la seconde (et j’espère non la dernière) consacrée à l’auteur Carl Bergeron. Figure peu connue de la littérature québécoise, portant délice des initiés, Carl Bergeron nous propose ici son troisième ouvrage : La grande Marie, Ou le luxe de sainteté. Il s’agit de la bonification d’un essai publié dans un revue théologique québécoise. Mais ne vous laissez pas avoir, ce livre traite bien plus du rapport qu’à la nation québécoise avec son histoire que de querelles sur le sexe des anges. 

Marie de l’Incarnation, figure mythique

Qui n’a jamais entendu ce nom fameux, ne serait-ce que pour désigner une école secondaire privée bien connues dans la région? Marie Guyart, entrée en religion sous le nom de Marie de l’Incarnation, est la fondatrice des Ursulines de la Nouvelle-France, en plus d’être l’instigatrice de la première institution d’enseignement dédiée aux femmes en Amérique.

De plus, elle est sans nul doute la figure mystique la plus importante de l’Amérique francophone. Pour faire rappel, une mystique n’est pas qu’une simple dévote. Il s’agit d’une personne dont la proximité avec la figure divine est si palpable qu’elle en est incapable à communiquer.

Pour la petite histoire, Marie Guyart, jeune femme de Tours, avait, avant son engagement religieux profond, une vie déjà bien remplie : elle fut mariée, eu un enfant, et excella dans le domaine commerciale. C’est seulement plus tard dans sa vie que l’appel de Dieu se fit entendre. Elle délaissa alors son ancienne vie pour les terres sauvage de l’Amérique, souhaitant y créer une institution digne du Tout-Puissant.

Sainte Marie de l’Incarnation. Crédit : Wikipédia.org

Rencontre avec une grande dame

C’est à la bien reconnue libraire le Port de tête que l’auteur Carl Bergeron fit la rencontre de Marie de l’Incarnation. Bien sûr, il connaissait déjà la figure historique, mais il fit alors la rencontre de l’écrivaine et de la mystique à travers ses correspondances. Pour Bergeron, Marie de l’Incarnation est une héritière des plus grands écrivains du 17e siècle, tels que les moralistes français; son style et son envergure n’a rien à leur envier.

Marie de l’Incarnation est une héritière des plus grands écrivains du 17e siècle, tels que les moralistes français; son style et son envergure n’a rien à leur envier.

La correspondance de Marie de l’Incarnation retrace son appel à la vie religieuse, son arrivée au Canada, les difficultés des premières années, la persévérance de l’autrice et sa relation avec son fils. On peut y découvrir une femme forte qui, avec un cœur de soie, gère la nouvelle colonie d’une main virile.

La réhabilitation d’une figure historique

La grande Marie, Ou le luxe de sainteté est un essai qui en déroutera plusieurs. Non seulement de par son sujet, mais également son style peu focalisé. En effet, Carl Bergeron n’y soutient aucune thèse claire; il se contente de réfléchir sur la nature de notre rapport historique collectif avec cette femme (dans la grande tradition de l’essai français, me direz-vous).

les analystes québécois ont souvent délaissé la part mystique de son expérience en Amérique, quitte à en faire une simple administratrice

Carl Bergeron soutient que Marie de l’Incarnation est une figure oubliée, ou à tout le moins mal comprise, de notre récit collectif. En effet, les analystes québécois ont souvent délaissé la part mystique de son expérience en Amérique, quitte à en faire une simple administratrice (de génie, tout de même). Mais cette analyse élimine, toujours selon Carl Bergeron, la part la plus primordiale de l’existence de Marie de l’Incarnation : sa part mystique. On veut faire des ces gens des déséquilibrés, des personnes avec des troubles mentaux; mais Marie Guyart elle-même aurait affirmé que c’est l’appel de Dieu qui fut le socle de sa mission en Amérique.

Pour une meilleure compréhension de l’histoire québécoise

L’idée phare de Carl Bergeron dans cet essai demeure le rapport collectif du peuple québécois à son histoire. Ce n’est pas une exagération d’affirmer que Bergeron, en plus d’être un dandy et d’avoir le sang bleu est un conservateur culturel, un élitiste, dans le bon sens du terme, si je puis me permettre. Pour cet auteur, le fait de considérer uniquement Marie de l’Incarnation comme la cofondatrice de Montréal, et non comme la figure mystique qu’elle-même et son époque reconnaissait en sa vie, est non seulement une erreur, mais une grande perte de notre propre identité collective en tant que peuple québécois.

le peuple québécois en est venu à oublier ses racines

Avec la sécularisation apportée par la Révolution tranquille (qui selon l’historien Éric Bédard n’a rien d’une véritable révolution), le peuple québécois en est venu à oublier ses racines. Sans nul doute, celles-ci sont chrétiennes. Pour Bergeron, il faut alors impérativement retourner à ce que la Nouvelle-France comprenait d’elle-même, afin de mieux appréhender notre rapport au temps et à notre propre culture.

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