À moins de vivre sous une roche depuis belle lurette, il est certain que vous avez entendu parler du mouvement #MoiAussi, qui a secoué plusieurs principes ancrés dans notre société. Le mouvement a mené à l’émergence de la notion de consentement, maintenant énormément discutée, et qui est devenu vitale dans notre compréhension de nos rapports avec les autres.
Heureusement, le mouvement soutient des milliers de femmes qui ont dénoncé leurs agresseurs, ou ce qu’elles ont subi en matière d’abus sexuels, et ce, avec tout le courage qui leur revient.
Cependant, en ce qui concerne les hommes victimes d’abus sexuels, les progrès sont moins évidents. L’une des raisons qui explique cet écart est la difficulté des hommes à se concevoir comme des victimes d’agressions, mais aussi la difficulté de la société à concevoir les hommes comme des victimes eux aussi.
Tout d’abord, selon un rapport de corps de police du Canada en 2008, les hommes victimes d’agressions sexuelles représentent 8% des cas dénoncés. De plus, d’après l’essai de Michel Dorais sur le sujet, ce n’est pas moins d’un homme sur trois qui affirme avoir subi des contacts sexuels non désirés au cours de sa vie. Le tout n’est donc pas négligeable!
Ce n’est pas moins d’un homme sur trois qui affirme avoir subi des contacts sexuels non désirés au cours de sa vie.
Cela est de plus en plus connu, il est difficile de dénoncer les agressions sexuelles, mais il faut distinguer la situation vécue par les femmes de celle des hommes. Effectivement, beaucoup de mythes sont présents dans notre société en ce qui concerne les rôles des hommes et leur rapport à la sexualité. Les abus sexuels subis peuvent générer un grand sentiment de honte chez les victimes masculines, car il est tabou d’en parler.
Des mythes persistants laissent penser que les hommes ne peuvent pas être des victimes, car ils seraient capables de se défendre et ressentiraient toujours du plaisir lorsqu’ils sont stimulés. Ces mythes ne font donc qu’aggraver l’isolement chez les hommes agressés.
L’histoire de Terry Crews
Un exemple assez médiatisé aux États-Unis est le cas de Terry Crews, ancien joueur de la NFL et maintenant comédien. À la suite du mouvement #MoiAussi, il a partagé sur Twitter son expérience. En 2016, lors d’une fête à Hollywood, un producteur important est arrivé en face de lui et lui a saisi les parties génitales. Stupéfaits, lui et sa femme ont quitté rapidement la soirée à la suite de cet incident.
«À mesure que je racontais mon histoire, on me disait sans arrêt que ce n’était pas une agression, que c’était une blague, des chamailleries.» – Terry Crews
Après avoir partagé son histoire au Sénat américain à l’occasion de la libération de parole autour de la création d’une loi pour «les survivant.e.s d’agressions sexuelles», Terry Crews explique de manière poignante ce qu’il a ressenti:
«L’agression dura seulement quelques minutes, mais il me disait clairement, tout en tenant mes parties génitales dans une main, qu’il avait le pouvoir. […] C’est de cette manière toxique que la masculinité s’infiltre dans la culture. À mesure que je racontais mon histoire, on me disait sans arrêt que ce n’était pas une agression, que c’était une blague, des chamailleries. Mais je dirais que la taquinerie de l’un peut être l’humiliation de l’autre».
Ainsi, Terry Crews soulève un point intéressant, à savoir que la masculinité toxique ou hégémonique a un rôle négatif par rapport aux abus sexuels perpétrés sur les hommes.
Qu’est-ce que la masculinité toxique?
Le sociologue R. W. Conwell définit ce concept comme étant une conformité presque totale de la part des hommes aux normes masculines culturelles traditionnelles définies dans les sociétés occidentales. Ainsi, lorsque ceux-ci adhèrent à ces idéaux dits masculins, comme la compétitivité et la domination, cela amène des effets négatifs chez les femmes, mais aussi dans la société en générale.
Il est donc possible de voir un lien entre la masculinité toxique et la grande honte que les hommes victimes d’abus sexuels ressentent. Être victime dans notre société vient à l’encontre de la domination, un trait «typiquement» masculin. De plus, avec cette masculinité toxique vient la répression des émotions, rendant la demande d’aide encore plus difficile.
Il est possible de voir un lien entre la masculinité toxique et la grande honte que les hommes victimes d’abus sexuels ressentent.
Récemment, je suis allée voir un spectacle d’humour, et j’ai trouvé de mauvais goût certaines blagues sur «l’Homme» qui est en train de «perdre sa virilité» à cause du partage des tâches ménagères, car ne rien faire de celles-ci (sauf les travaux manuels bien sûr) serait typiquement masculin! Même si ce n’est qu’un spectacle d’humour, cela illustre bien comment l’adoption de ces normes dites masculines peut prendre forme par l’influence de différents médiums dans la société.
Les ressources d’aides
Au Québec, il existe quelques ressources pour les hommes victimes d’abus sexuels. Les Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) ont commencé dans quelques endroits dans la province à mettre en place des groupes d’aides spécifiquement pour les hommes. De plus, le Centre de ressources et d’interventions pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE) à Montréal et le Soutien aux hommes agressés sexuellement dans leur enfance (SHASE) en Estrie sont des organismes offrant des services exclusivement aux hommes victimes d’agressions.
Malheureusement, ces organismes ont souvent peu de financement, car le problème n’est pas d’une aussi grande ampleur que celui des femmes, ce qui rend plus difficile l’accessibilité aux subventions du gouvernement.
Comme quoi, les hommes ont aussi intérêt à se saisir de l’enjeu de la dénonciation. J’espère, en écrivant ces lignes, vous sensibiliser au fait que le mouvement #MoiAussi concerne également les hommes, mais dans une perspective différente.
Très bon texte, trop souvent tabou. Merci à l’auteur!
Très bon texte, trop souvent tabou. Merci!