
Pour cette première chronique de l’année, il était impensable de ne pas écrire sur la vague de dénonciations sur les réseaux sociaux que nous avons connue ces derniers temps.
Une autre vague de dénonciations
Pour vous remettre en contexte, plusieurs artistes québécois sont tombéEs de haut, dont Maripier Morin, Bernard Adamus et Julien Lacroix. Même si ce dernier a fait l’objet d’une enquête approfondie du journal Le Devoir, la majorité des dénonciations se font à l’aide des réseaux sociaux, dont la page Facebook Dis son nom ou des comptes Instagram intitulés @victims_voices, répartis entre différentes villes, régions et autre. Ainsi, la base de ce mouvement réside dans la volonté de créer un espace sécuritaire pour dénoncer les violences à caractère sexuel. Tout est fait pour préserver l’anonymat des victimes.
Le principe veut qu’une victime envoie son témoignage en message privé. La page Facebook Dis son nom recense, à l’aide d’une liste, les noms des agresseurs et agresseuses des dénonciations reçues.
Pour sa part, les comptes Instagram publient les témoignages sur leur page respective, où il est possible de les lire. Le compte @victims_voices_montreal avait, à son apogée, 77 600 abonnées. Il a cependant été supprimé depuis, tout comme son contenu. Quelques comptes Instagram de moins grande envergure sont toujours actifs.
Sur le coup, le principe semble intéressant. En effet, cela était de toute évidence une manière de donner une voix aux victimes, pour qu’iels puissent parler sans crainte de représailles. Cela permet également de montrer que les violences à caractère sexuel sont plus communes que l’on pense.
Cependant, il est assez facile de voir que ce mouvement, même s’il est parti avec de nobles intentions, a en quelque sorte envenimé la cause, pourtant si importante.
Le fait de créer une liste avec des noms, ou de ne pas les cacher dans les témoignages, peut vraisemblablement mener à de la diffamation publique.
Anonyme, mais pas infaillible
Tout d’abord, le fait de dévoiler le nom des agresseurs et agresseuses amène plusieurs problématiques. En effet, le fait de créer une liste avec des noms, ou de ne pas les cacher dans les témoignages, peut vraisemblablement mener à de la diffamation publique. Même si l’objectif est d’informer la population qu’une personne est dangereuse en l’exposant, il reste néanmoins qu’un nom assez répandu et commun peut mener à des répercussions graves pour celleux qui le portent et qui n’ont rien à voir avec ces accusations.
Dans cet article de Radio-Canada, un homme veut poser une action collective contre Facebook. En effet, parce que son nom est sur la fameuse liste et sans explications, il a été questionné par son entourage et ses amiEs, tellement qu’il a développé de l’anxiété, causant des crises de panique et de l’insomnie. Tout ça, parce qu’il avait le malheur de porter un nom commun!
Une poursuite au civil a également été déposée contre les administrateurs de la page Dis son nom.
Sans nécessairement dire que le mouvement n’a pas lieu d’être, il est primordial d’adopter un esprit critique sur ce phénomène.
Démêler le vrai du faux
Même si les dénonciations de violences à caractère sexuel déposé à la police sont vraies en grande majorité (98% selon le RQCALACS), il faut se questionner à savoir si la publication anonyme de celles-ci permet la transposition d’une telle statistique, puisque ce n’est pas le même contexte. Comme il peut être beaucoup plus «facile» d’envoyer un message privé que d’aller voir la police, qui dit qu’il n’y a pas d’augmentation du risque de fausses allégations?
Même si les administrateurs et administratrices de ces pages nous jurent qu’iels «vérifient» avant de publier, on ne connait aucunement leurs démarches, puisqu’iels ne l’expliquent pas. Il devient donc très difficile de démêler objectivement le vrai du faux. Sans nécessairement dire que le mouvement n’a pas lieu d’être, il est primordial d’adopter un esprit critique sur ce phénomène. Malheureusement, il est statistiquement plausible de se dire qu’au moins 2% des allégations sont fausses.
Même si le procédé peut laisser à désirer et est imparfait, on se rend bien vite compte que notre système de justice n’est pas adapté pour faire face aux violences à caractère sexuel.
Et les hommes?
Selon un rapport du Ministère de la Sécurité Publique de 2004, 82% des victimes d’agression sexuelle sont des femmes, et 18% sont des hommes. Même si la proportion est moins importante, on pourrait s’attendre à voir davantage de dénonciations faites envers des femmes. Malheureusement, ce n’est pas le cas. La proportion de victimes ayant dénoncé une femme est minime, presque invisible. C’est extrêmement dommage que même dans l’anonymat, la parole de certaines victimes ne soient pas au rendez-vous. Une occasion ratée de sensibiliser à cette facette de la cause.
Pas seulement du négatif
Il y a du positif à retirer dans ce mouvement. Même si le procédé peut laisser à désirer et est imparfait, on se rend bien vite compte que notre système de justice n’est pas adapté pour faire face aux violences à caractère sexuel. Ces pages existent pour y faire une justice alternative, car le système actuel échoue à protéger les victimes.
Si cette vague de dénonciations n’est pas une bonne raison pour le système de justice de faire une très grande introspection, je ne sais ce que cela prendra pour améliorer les choses.